L’Albanie, un pays européen.
L’Albanie, Shqipëria en albanais (shqip), est, en tant qu’état, né le 28 novembre 1912, de l’effondrement de l’empire ottoman en Europe balkanique. Elle est peuplée en 2006 de 3,6 millions d’habitants, et possède le meilleur taux de natalité en Europe, avec deux enfants par femme, ce qui cependant est inférieur au taux de renouvellement (2.1) que ce pays assurait il y a encore quelques années. Cependant le peuple albanais dépasse les frontières de son état, celui-ci n’étant qu’une partie de ce qui est parfois appelé « Grande Albanie », pays qui n’a existé que pendant la seconde guerre mondiale. Sur les deux millions de kosovars, le Kosovë faisant partie de la Serbie, 88% d’entre eux sont albanais, et de même il y a en Macédoine 510.000 albanais soit 25% de la population. Ils sont 31.000 au Monténégro (5%) mais aussi près de 450.000 en Grèce, souvent avec le statut d’étrangers. En outre, il existe une diaspora albanaise en Italie, les Arbërëshë (nom proche de celui d’Albanais, qui n’est pas en usage en Albanie), qui sont 250.000, sans compter les albanais installés récemment pour travailler. Les Arbërëshë sont catholiques et se sont réfugiés notamment en Sicile, ainsi que des grecs, lors de l’invasion ottomane au XVème siècle. Ils sont près de 100.000 en Grande-Bretagne et en Suisse, et environ 20.000 en France.
L’Albanie en revanche constitue d’un point de vue religieux une mosaïque complexe où l’islam est en théorie très majoritaire, encore plus d’ailleurs au Kosovo et en Macédoine qu’en Albanie proprement dite. Nous ne disposons guère de statistiques, car celles-ci remontent à 1930. Selon ces données, l’Albanie était composée de 50% de musulmans sunnites, de 20% de musulmans bektachis, appartenant à un groupe religieux très minoritaire au sein de l’islam, de 20% de chrétiens orthodoxes et enfin de 10% de catholiques. En 2006 cependant, après des années de dictature athée sous la direction du communiste Enver Hoxha, il n’y aurait que 30% de pratiquants, les deux christianismes résistant mieux que l’islam. En revanche, au Kosovë, il n’y aurait que 5% des Albanais qui y seraient catholiques, du fait d’une réislamisation encouragée par les monarchies pétrolières du golfe et des conflits ethniques les opposant aux Serbes orthodoxes.
La langue albanaise est indo-européenne, même si elle constitue un sous-groupe linguistique à elle toute seule. Elle compte quatre cas, comme en allemand, à savoir nominatif, accusatif, génitif et datif, trois genres dont un neutre et au moins trois déclinaisons principales (masculin en –i ou –u, féminin en –a, masculin/féminin en –au), sept temps, huit modes (dont les archaïques admiratif et optatif). Il s’agit donc d’une langue de type plus conservatrice, comme le sont les langues baltes par exemple.
Bien que le peuple albanais ait été marqué par l’influence ottomane et musulmane, l’islam y étant majoritaire dès le XVIIIème siècle, les traits indigènes ont résisté et dominent toujours de manière écrasante. Ainsi, les jours de la semaine ont conservé leur lien avec les dieux de la mythologie romaine et/ou de la mythologie albanaise. Mardi est e martë, du nom de Mars, et vendredi est e premtë, du nom de Premda, déesse albanaise de l’amour assimilée à Venus. Le jeudi est e enjë, le jour d’En, l’équivalent albanais de Jupiter. Le dimanche est e dielë, le « jour du soleil », donc toujours lié à la divinité, ce qui n’est le cas que dans les langues germaniques (anglais Sunday, allemand Sonntag), à la différence du « dimanche » (jour du seigneur). Le nom de Dieu, employé indistinctement par les chrétiens et les musulmans, n’est pas Allah mais Perëndi, nom du dieu albanais de l’orage et de la guerre, ou bien encore Zot, dans lequel on reconnaît le nom de Zeus. Là encore, cela rapproche les albanais des Baltes dont le nom du dieu chrétien est celui de l’ancien dieu païen du ciel, le lituanien Dievas, le letton Dievs.
Le plus grand héros du peuple albanais n’est pas un musulman mais un catholique qui a résisté invaincu aux Turcs musulmans pendant le XVème siècle. Son nom est Gjorgi Kastrioti, surnommé Skanderbeg, « Alexandre le chef », et il fut surnommé par le pape de l’époque Athletas Christi, « l’athlète du Christ ». A sa mort, l’Albanie indépendante tomba sous le joug de ses ennemis. Son armoirie, un bouclier rouge avec un aigle noir bicéphale, est désormais le drapeau du pays, et une statue équestre du héros est sur la place la plus importante de la capitale Tiranë. Ainsi, dans ce pays théoriquement à majorité musulmane, le drapeau symbolise la résistance à l’islamisation.
On trouve la première mention d’un peuple proto-albanais chez Polybe, qui parle des Arbanioi, et chez Ptolémée, qui évoque des Albanoi, toutes populations installées au nord de l’Epire. Il est difficile de savoir si les Albanais sont les descendants des Illyriens, romanisés puis slavisés, ou simplement les derniers à avoir conservé leur langue, la langue dace de Roumanie et la langue illyrienne de Serbie ayant alors disparu. Les Albanais lutteront, aux côtés des Serbes, lors de la bataille de Kosovo en 1386, où tous seront vaincus par les Turcs. Malgré le courage de Skanderbeg, comme Constantinople, l’Albanie est soumise, subira des persécutions religieuses majeures et de nombreux massacres, avant que progressivement les élites et la paysannerie se convertissent pour ne plus payer l’impôt et parfois pour accéder aux hautes fonctions de l’état ottoman. Les Grecs, conservant une grande importance dans le commerce, purent en revanche conserver leur christianisme.
Il faudra attendre les années 20 pour que l’Albanie se libère des carcans religieux de l’islam, avec l’avènement du roi Zogu. En 1925, il interdit le port du voile, puis en 1929 introduit le code civil, le suffrage universel, crée une instruction nationale et l’égalité devant l’impôt. Il va d’ailleurs nettement plus loin que Kemal Atatürk en Turquie. En outre, le processus de désislamisation a continué puis s’est amplifié dans une Albanie devenue fasciste puis communiste.
Ainsi, par son origine, par sa culture comme par sa langue, le peuple albanais est pleinement européen. L’islam y est beaucoup moins fort qu’on ne l’a dit, il a été fortement albanisé, et par ailleurs une tradition d’exceptionnelle tolérance est le propre de ce pays. Il a donc toute sa place au sein d’une construction politique européenne digne de ce nom. Mais les conflits à propos du Kosovë ont suscité des passions politiques, certains défendant les Serbes, d’autres les Albanais, mais de fait rarement les deux. Il ne s’agit pas d’opposer Serbes et Albanais mais de montrer que tous ont une pleine place dans l’Union Européenne, et que c’est ainsi que les querelles du passé pourront être vaincues. L’entrée simultanée de la Serbie et de l’Albanie dans l’UE serait un gage de paix d’une grande force.
Thomas FERRIER
Secrétaire Général du PSUNE