Mal-être : comprendre comment la nutrition peut prévenir son développement
Lors du prochain congrès "Goût, Nutrition,
Santé", le GNS 2010 du pôle de compétitivité Vitagora, les 23 et 24
mars prochain à Dijon, Sophie Layé, directeur de recherche à l'INRA,
donnera une conférence sur le thème du "bien-être". Ce dernier, chacun
de nous le ressent, à certains moments, sans trop pouvoir l'expliquer,
se contentant de le goûter. Mais de quelle manière l'aborder pour un
scientifique, le modéliser et comprendre notamment comment la
nutrition, et en particulier certains nutriments, peut prévenir du
développement de troubles de l'humeur et de la cognition, autrement dit
ce qu'on appelle le "mal être" qui s'avère être un excellent indicateur
pour mesurer le "bien être". Au sein de l'Unité Mixte de Recherche
"PsyNuGen" de l'INRA, à Bordeaux, l'équipe "Nutrition, cytokines et
troubles psychiatriques" que dirige Sophie Layé mène des travaux dans
ce domaine qui intéresse tout particulièrement les industriels de la
pharmacie et de l'agroalimentaire.
Agressé par un intrus, tel un
virus ou une bactérie, un organisme réagit en produisant des signaux
d'alarme, les cytokines, qui vont alors activer son immunité.
Parallèlement, ces signaux vont prévenir le cerveau, celui-ci
développant alors une stratégie de défense qui va se traduire notamment
par des troubles de l'humeur et du sommeil, des pertes de mémoire, un
manque d'appétit et un repli sur soi. Or ces comportements,
réversibles, sont commandés par l'action des mêmes cytokines qui
agissent sur différentes structures cérébrales. Cela dit, la synthèse
de ces cytokines n'est pas toujours associée à un état de défense d'un
organisme. Ainsi chez certaines personnes âgées dont le système
immunitaire est déréglé ou encore des malades sous traitement, voire
des personnes obèses, on observe une activation en faible proportion,
mais prolongée, de ces signaux. Toxique pour les neurones, celle-ci
peut alors conduire au développement de troubles de l'attention ou à
des situations dépressives plus graves.
Comprendre le caractère anti-inflammatoire de certains micronutriments
Au sein de l'Unité Mixte de Recherche "PsyNuGen" qui compte trois équipes,
l'équipe de Sophie Layé s'intéresse plus particulièrement au rôle
préventif que joue la nutrition dans le développement de ces troubles
de l'humeur et de la cognition, autant d'altérations caractéristiques
d'un état de "mal-être". "Nous essayons de comprendre plus
particulièrement comment certains micronutriments, qui ont été décrits
pour leur activité anti-inflammatoire, peuvent contribuer à prévenir le
développement de ces troubles", explique-t-elle. Ces chercheurs se sont
penchés en particulier sur les acides gras poly-insaturés dont la
teneur est élevée dans le cerveau. Il en existe deux formes, plus
connues sous l'appellation d'oméga-3, présents notamment dans le
poisson, les fruits de mer et l'huile de colza, et d'oméga-6, que l'on
trouve en particulier dans l'huile de tournesol. Ils ont montré que des
souris soumise à un régime carencé en oméga-3, développent avec l'âge
davantage de troubles de la mémoire et présentent des taux de cytokines
inflammatoires plus élevés que les souris bénéficiant d'un régime
équilibré.
Dans le cadre de COGINUT [1], un projet piloté par
l'INSERM, porté par P Barberger-Gateau et financé par l'Agence
Nationale de la Recherche (ANR) dont l'objectif est d'étudier l'impact
du statut nutritionnel en acide gras poly-insaturés et anti-oxydants
sur le vieillissement cérébral (démence, déclin cognitif, troubles de
l'humeur) chez les personnes âgées, l'équipe bordelaise a travaillé dès
2006 sur des individus de 65 ans et plus dont les habitudes
alimentaires sont connues. "Les résultats obtenus indiquent que chez
les personnes présentant une activation immunologique chronique, le
taux d'oméga-3 est plus faible. En outre, leur qualité de vie est plus
altérée que chez les personnes n'ayant pas d'activité immunitaire",
résume Sophie Layé. Ainsi les troubles de l'humeur chronique, observés
chez les personnes âgées, pourraient résulter d'une production trop
importante de cytokines, liée à une carence en oméga-3.
L'intérêt grandissant des industriels pour ces travaux
Après avoir montré chez l'animal qu'une nutrition riche en oméga-3, fournie
sous la forme de chaînes courtes, donc plutôt issue du végétal, n'est
pas suffisamment efficace pour prévenir le développement de la
détérioration de l'immunité innée dans le cerveau, alors que
l'utilisation de chaînes longues sur de courtes durées ont des effets
positifs, l'équipe "Nutrition, cytokines et troubles psychiatriques"
réalise aujourd'hui des tests sur des personnes âgées. "La prévention
nécessite que nous comprenions non seulement quel type de
micronutriment il faut utiliser, mais sous quelle forme et,
probablement, sous quelle combinaison nutritionnelle. Par exemple,
peut-être faudra-t-il y associer des anti-oxydants afin d'accroître son
efficacité".
D'où l'intérêt grandissant des industriels des secteurs de la pharmacie et de l'agroalimentaire pour ces travaux qui pourraient, à plus ou moins long terme, déboucher sur un certain nombre de recommandations alimentaires, voire l'arrivée de produits spécifiques sur le marché. "Prenons l'exemple d'un diabétique traité médicalement pour ce trouble métabolique.
Des recommandations nutritionnelles pourraient alors contribuer à l'amélioration des troubles de l'humeur qui accompagne de type de pathologie, troubles qui, aujourd'hui, ne sont pas traités", souligne Sophie Layé.
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[1] Cognition, anti-Oxydants, acides Gras : approche Interdisciplinaire de la NUTrition dans le vieillissement cérébral
Unité Mixte de Recherche "PsyNuGen" - Sophie Layé : tél. +33 (0)5 57 57 12 32 - email : sophie.laye@bordeaux.inra.fr
GNS 2010 : http://www.gout-nutrition-sante.com/