6. Où en est la question de l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne avec la « démocratisation » ou la « normalisation ». La Serbie comme fin de référence aux opposants au Nouvel Ordre Mondial est-elle une réalité ou bien y a-t-il quelque espoir ?
Jusqu’en octobre 2000 Slobodan Milosevic a été rendu coupable de tous les malheurs. Le « boucher des Balkans » était responsable de tout, de la guerre, de la misère sociale, de l’isolement du pays, de l’embargo et même des bombardements. Tout était de sa faute. Comme Saddam Hussein il fut diabolisé avant d’être éliminé. Les stipendiés de l’Occident et leurs sponsors affirmaient qu’avec la disparition de Milosevic et de son régime, tout rentrerait dans l’ordre, que la prospérité reviendrait, que la Serbie réhabilitée recouvrerait sa liberté, ses droits et la sécurité de frontières reconnues. Or cinq ans après, évidemment rien de tout cela ne s’est passé. Sur le plan politique, institutionnel, économique, social et territorial c’est le désordre parlementaire, l’anarchie, la pauvreté, le chantage à la livraison des résistants au Tribunal de La Haye et la menace de séparation du Kossovo et du Monténégro. Pour paraphraser Jacques Bainville« tout va toujours plus mal». Profitant de la situation quelques uns se sont outrageusement enrichis.
Dans ce contexte les discours sur les conditions et la date de l’entrée en Europe ne passionnent pas les masses, d’autant plus que l’Europe de Bruxelles s’est vu imputer ce qui s’est passé à égalité avec les Etats-Unis. D’ailleurs, et ceci est valable pour tous les ex pays socialistes passés à l’ultra-libéralisme, les politiciens ne parlent pas de l’Europe mais utilisent le vocable du Département d’Etat américain, à savoir l’ « intégration euro-atlantique », ce qui n’est pas la même chose que l’Unité européenne.
L’intégration euro-atlantique ce n’est évidemment pas l’Europe, c’est la dissolution des pays européens dans l’empire colonial des Etats-Unis, c’est l’opposé de l’Europe puissance. Quand Donald Rumsfeld, le Secrétaire US à la Défense, fait la distinction devant un parterre de « nouveaux démocrates » de l’Est, entre New Europe et Old Europe, c’est à ce clivage (excluant une certaine idée de la France et de l’Allemagne) qu’il pense. Un clivage que le portugais –on devrait plutôt dire le porto-ricain– représentant la fausse Europe, José Manuel Barroso, est chargé de « résorber».
Récemment on a fait dire à Bush que la Macédoine-FYROM était «un exemple pour la région» et qu’elle était « en grand progrès sur la route pour rejoindre l’Europe». C’est très significatif de ce que veulent les Américains. La Macédoine est une caricature d’Etat, de nation et d’indépendance. Un pays déjà sous partage ethnique entre d’une part l’élément slavo-macédonien qui ne sait pas trop quelle est sa véritable identité et la recherche chez Alexandre le Grand, et de l’autre l’élément albanais sûr de « descendre du roi Pyrrhus» ou des anciens Illyriens et qui prend ce qu’on lui donne – en 1992, par les accords d’Ohrid les Occidentaux lui ont livré la partie Ouest du pays – en attendant de pouvoir former après l’ « indépendance » du Kossovo la Grande Albanie avec l’Albanie. La voie est tracée d’avance et se conjugue avec le projet des oléoducs, autoroutes et systèmes de communication prévus pour le Corridor n°8, tout bénéfice pour Washington et pure perte pour l’Europe. Mais cela ne suffit pas à certains Albanais qui émettent aussi des revendications à l’Est du Monténégro, en Serbie du Sud et au Nord-Ouest de la Grèce dans la région qu’ils appellent Shameria. Autant dire pour l’avenir un excellent facteur de perturbation à cheval sur des frontières, dépourvu de toute culture étatique (ce qui n’est pas le cas des Serbes formés à l’Ecole française) et qui explique, comme pour les Kurdes au Proche Orient, l’intérêt porté à leur égard par les Américains. A West Point, en ce moment on est en train de former les cadres de la future « Armée du Kossovo » détaché de la Serbie, à partir d’anciens « commandants »de l’UCK. Un « Service secret kosovar » (sic) est aussi fabriqué.
Pour clore la parenthèse sur la FYROM (Former Yugoslav Republic of Macedonia), les Américains viennent de la reconnaître sous le nom de Macédoine à la veille d’un référendum dangereux pour les accords d’Ohrid, une décision qui a flatté les naïfs locaux mais déplu fortement aux Grecs pour qui la Macédoine est leur province du Nord. Ancien Sud de la Serbie jusqu’en 1944, séparée de la Fédération yougoslave en 1992, ethniquement divisée, dépourvue d’autorité étatique, cette Macédoine citée en exemple par George W. Bush représente le modèle de l’Etat dépourvu d’indépendance et d’autorité, l’idéal des prédateurs de Brooklyn et du Texas, ce qui éclaire un peu plus la nature de la politique consistant à confondre l’Europe avec les Etats-Unis, une politique où bien des Européens sont victimes et complices à la fois. Une anecdote significative, je me trouvais récemment en Macédoine et je suis tombé par hasard à la télévision sur les travaux d'un congrès de Jeunesse Internationale, une réunion non seulement sponsorisée par George Soros et l’Ambassade américaine, mais encore une manifestation pour laquelle le Parlement macédonien avait prêté ses locaux ! Et de quoi parlait-on dans cette assemblée dominée par les délégations de jeunes de la « New Europe »( Pays Baltes, Ukraine, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Tchéquie) ? Eh bien tout simplement d’un thème très cher à Soros, celui de la légalisation des drogues.
Pour un peuple deux choses sont plus importantes que la prospérité et le bien être économique, ce sont l’identitéet la dignité. Que peut bien signifier l’entrée dans l’ Europe institutionnelle pour une communauté qui se sent menacée dans son identité et bafouée dans sa dignité ? Et que peut bien vouloir dire intégration européenne quand on vient d’un pays qui a été désintégré par cette Europe institutionnelleassimilée aux Etats-Unis ?
Sur ce sujet les nationalistes européens de tous les pays brandissent l’étendard d’une toute autre Europe, celui de la Grande Europe, de l’Unité eurasiatique grand continentale des Etats, de Vladivostok à Dublin contre l’ Europe sous occupation des Etats-Unis. En Serbie cette tendance a fait des progrès. On se rend compte que face à l’attaque globale conduite par les Etats-Unis il faut une résistance globale et que la lutte ne peut être limitée à un seul pays.
7. Un dicton populaire affirme que par journée claire des montagnes de Serbie on peut voir le Kremlin. Le futur de la Serbie, comme d’ailleurs celui de l’Europe, est-il lié à la Russie ?
Les Serbes ont été très déçus par l’attitude des Russes pendant la guerre. Alors que tous, Croates, Bosniaques musulmans, Albanais séparatistes bénéficiaient des plus grands supports extérieurs (l’un d’eux, et non des moindres n’était autre, répétons-le que celui du roi du Maroc) les Serbes indépendants et souverains se sont retrouvés isolés et sans soutiens autres qu’individuels (si l’on excepte la Grèce qui n’a pas participé à l’agression). Face au monde anglo-saxon habitué à instrumentaliser les islamistes (de l’Imam Chamil dans le Caucase à Ibn Séoud en Arabie, d’Abd el-Krim au Maroc à Osama Ben Laden en Afghanistan), la solidarité slave et/ou orthodoxe a été politiquement très limitée : des Russes des mouvements nationalistes et des Grecs sont venus combattre au côté des Serbes de Bosnie puis encore des Russes et des Bulgares au moment des bombardements de l’OTAN en 1999. Les agresseurs anglo-saxons ont bénéficié de circonstances idéales caractérisées par l’existence d’un pouvoir russe entre les mains d’un Boris Eltsine impotent et de son entourage oligarchique pro-américain que Vladimir Poutine vient en partie de réduire. Le comble c’est que ce manquement russe n’a pas seulement déçu les Serbes qui attendaient quelque chose de la Russie, il a été aussi utilisé par les russophobes pour essayer de discréditer un peu plus la Russie. Et là il faut parler du rôle des ONG.
Pendant les manifestations contre Milosevic j’ai observé le mode opératoire des organisations parapolitiques qui préparent le terrain pour l’ attaque finale et que l’on appelle les Organisations Non Gouvernementales, les ONG. J’ai suivi le travail de pénétration de l’Université et de la Presse opéré par l’Open Society Institute (OSI) , aussi appelé « Fondation Soros » et la méthode d’agitation de rue tirée des enseignements du professeur Gene Sharp, de l’Institut Albert Einstein: expliquée dans La Guerre Civilisée cette méthode consiste à utiliser le mécontentement latent d’une partie de la population, en particulier la jeunesse et son besoin de contestation, pour la jeter dans la rue et la dresser contre les « dictateurs » sous les apparences de manifestations pacifiques et festives. Dans ces réunions et manifestations on repère les meilleurs éléments, on les éduque par des stages appropriés dans les pays voisins et on les forme pour un type d’action moins civilisé. Ces groupes d’agitation disposant des moyens matériels importants de la « révolution pré-payée» doivent prendre la tête des manifestations futures ou les susciter, sélectionner les slogans et les banderoles, enfin par des affrontement calculés avec la police donner l’impression que le mouvement « démocratique et pacifique » est odieusement réprimé par « la dictature ». A ce moment-là les reporters photo de Reuters ou des « journalistes indépendants» entrent en action.
En Occident la photo de la jeune fille offrant une fleur au sinistre milicien du président à renverser et du régime à détruire fait la une des quotidiens et l’ouverture des journaux télévisés. Ces dernières années toutes les « révolutions télévisées» ou leurs tentatives dans les pays-cible ont leur douce fille offrant une fleur aux sinistres « paramilitaires ».On l’a vu en Serbie, en Géorgie, en Ukraine, au Venezuela, au Liban, en Kirghizie. A Minskle Président Lukashenko, visé en ce moment par une pétition de Soros et de Desmond Tutu, n’a pas laissé le temps à la douce jeune fille d’offrir sa fleur, le photographe missionné n’a pas pu l’approcher et l’ambassadeur américain Michael Kozak (qui a opéré il y a quelques années au Nicaragua) en a été pour ses frais. Raison de cet acharnement contre un Chef d’Etat qui a compris – il est le seul à être venu en Serbie pendant les bombardements – , ne se laisse pas faire et est protégé par la Russie.
Cette référence (jeune fille-fleur-milicien) n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la forme de guerre menée par l’Occident, toujours sur les mêmes thèmes, et indique l’existence d’une main cachée qui dirige. D’ ailleurs les bénéficiaires des révolutions pré-payées avouent: le géorgien Michael Saakashvili a reconnu avoir suivi un stage d’Otpor en Vojvodine pour préparer son coup contre son rival Shevarnadze (Richard Miles, l’ ambassadeur US à Tbilissi était auparavant chargé d’affaires à Belgrade, ce qui arrangeait bien les choses) et on se souvient de la présence de chefs d’Otpor en Ukraine au début du processus de la « révolution orange ». Sur l’espace de l’ex Union soviétique les clones d’Otpor sont connus, ils s’appellent Kmara en Géorgie, Pora en Ukraine, Zubr en Biélorussie, Kelkel en Kirghizie et depuis peu Oborona en Russie. Il ne faudrait pas pour autant donner à ces groupes plus d’importance qu’ils n’en ont. J’ai rencontré l’homme qui est entré au Parlement fédéral de Yougoslavie avec son tracteur le fameux 5 octobre attribué à Otpor. Il a reconnu s’être fait manipuler et m’a juré qu’il entrerait à nouveau au Parlement mais avec une autre intention. Sa motivation s’inscrivait dans l’ambiance carnavalesque artificiellement créée et non dans un besoin sérieux d’action.
Si le 5 octobre 2000 a pu avoir lieu ce n’est pas dû à Otpor comme on l’a fait croire en Occident, mais à la neutralisation des organes de sécurité, de la radio et de la télévision. Cela s’appelle un coup d’Etat. L’astuce consiste à coupler le coup d’Etat avec une élection qui, quel que soit le résultat, est gagnée d’avance. Si elle est gagnée, elle est gagnée mais si elle est perdue elle est aussi gagnée, on brandit l’accusation de fraude et le tohu bohu , le tintouin médiatique commence, contraignant le vaincu désigné à se démettre et propulsant le vainqueur tout aussi désigné sur le trône. On a créé pour cela des instituts de sondage appropriés qui donnent les résultats avant la commission officielle : les « exit polls» sont chargés de donner gagnant le « pro-western», « western educated» et « pro-market» candidat.
Considéré comme un obstacle Arkan avait été préventivement assassiné le 15 janvier. Sans ordres les militaires étaient restés dans leurs casernes. Quelques jours avant le coup d’Etat déguisé en « victoire de la démocratie », le SDB (la police politique), s’était entretenu avec l’Intelligence Service près de Banja Luka, secteur britannique de la Bosnie occupée. Un marché avait été conclu, qui devait permettre aux chefs de la police et à certains officiers sur les listes du Tribunal de la Haye de ne pas être inquiétés s’ils ne bougeaient pas. Otpor c’était pour le cinéma, pour les actualités télévisées. Ils n’ont, ces groupes comme Otpor, d’importance qu’à un moment donné et qu’au sein d’un dispositif général dont ils ne sont qu’un élément (facile à contrer à condition de le vouloir comme en Biélorussie ou au Liban). Fondés sur la base des techniques de manipulation dérivées du behaviourisme et du social engineering anglo-saxon, ces groupes créés pour faire illusion sont à l’opposé de ces formations de combattants et de croyants ou de ces avant-gardes conscientes et organisées qui marquent l’Histoire. Ephémères comme ces cachets effervescents qui se dissolvent au fond d’un verre, leurs dirigeants s’en disputent misérablement les deniers de la trahison qui se tarissent quand le carnaval est fini…