3.Les deux vainqueurs des dernières élections sont le Parti socialiste de Slobodan Milosevic et le Parti radical de Vojislav Seselj, présenté comme « ultra-nationaliste ». Y a-t-il une bonne collaboration entre eux ? Est-ce que la formule de leur union peut devenir un exemple pour les autres pays de l’Est de l’Europe ? Milosevic et Seselj se trouvent extradés et jugés par le « « Tribunal » de La Haye. Qu’est-ce que les Serbes pensent des représentants qu’ils ont démocratiquement élus ?
Des informations qu’il faut quelque peu tempérer ou corriger. Le flot de désinformation et d’ignorance occidental est tel que l’on peut comprendre la confusion . Milosevic a été kidnappé et non extradé. Seselj, pour sa part s’est rendu volontairement à La Haye. On n’en n’est plus à la grande alliance tactique SPS-SRS-JUL. Le Parti socialiste a mal supporté la perte du pouvoir et joue un jeu politicien. Le Parti radical, au contraire assume pleinement sa fonction d’opposition.
L’une des caractéristiques des démocraties occidentales, en dehors des Etats-Unis qui forment un système criminel et mafieux fait pour durer, est que l’on y subit le vote permanent qui provoque l’instabilité chronique et interdit la sélection et la circulation des élites pour une politique du long terme. Aggravé quand les institutions sont, comme actuellement en Italie, du type parlementaire de la IV° République française (impuissance au sommet, querelle des partis et marchandage des sinécures). La Serbie n’échappe pas désormais à la règle.
Après les présidentielles que l’on a dû recommencer à trois reprises pour cause de quotas électoraux, il y a eu en décembre 2004 les municipales. D’élection en élection on constate une progression constante du Parti radical serbe, le SRS qui a gagné Novi Sad, la seconde ville du pays et est passé à deux points de la victoire à Belgrade, et une coupure grandissante entre le pouvoir titulaire et l’Opposition menée par le Parti radical. Avec 81 députés le SRS dispose du plus fort groupe parlementaire, loin devant le principal parti gouvernemental, le DSS. Lorsque en février 2003 le chef du SRS, Vojislav Seselj s’est rendu volontairement à La Haye pour affronter l’Hydre du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie (TPIY) sponsorisé (entre autres) par George Soros et la firme à capitaux séoudiens Sony, beaucoup ont dit que c’en serait fini du Parti radical. Les mêmes avaient prononcé un tel diagnostic en octobre 2000 lors de la « chute de Milosevic » et ils se sont trompés. Disposant d’excellents cadres le SRS n’a jamais été aussi fort malgré le manque de celui que l’on nomme « l’Absent ». On ne peut en dire autant du SPS qui est sorti très affaibli de la perte du pouvoir et de la déportation rituelle de son président à La Haye. Pour survivre avec seulement 6% des voix, le SPS a été contraint de soutenir le gouvernement de Vojislav Kostunica fait d’une addition de partis discrédités: d’abord le propre parti du premier ministre, le Parti démocratique de Serbie (DSS, 53 députés), constitué de notables et le moins corrompu, ensuite le G17 Plus(31), héritier de l’opposition DOS à Milosevic, du libéral Miroljub Labus – il était moins libéral quand il rédigeait la constitution de Milosevic -, un groupe en phase avec les économistes de l’Ambassade US et que Seselj a baptisé le « F 16 ». Ensuite deux petits groupes qui s’étaient ligués pour dépasser 5% des voix, Nova Srbija du maire de Cacak Velimir Ilic (9 députés) et le Parti du renouveau serbe (SPO) de Vuk Draskovic, en butte à une scission (SDPO, 9 députés) et qui ne conserve plus, de ce fait, que 4 députés (le siège du SPO partisan du roi en exil à Londres se trouve curieusement dans le même bâtiment que le British Council). Dirigé par Ivica Dacic, un rondouillard qui fait carrière, le Parti socialiste (SPS) permet enfin à cet attelage hétéroclite d’avoir une majorité tout en étant écarté du gouvernement. Seul intérêt, ses 22 députés peuvent à tout moment déclencher une crise gouvernementale et faire pression sur Kostunica, ce qui indispose le G 17 Plus et facilite la critique du Parti démocratique qui n’est pas membre de la coalition gouvernementale.
Animé hier par des socialistes rendus nationalistes par la pression extérieure, le SPS a vu beaucoup de ses membres le déserter et rejoindre le SRS. Le parti de Slobodan Milosevic n’est plus aujourd’hui que la jambe de bois d’une majorité parlementaire unie par la brigue et conduite par des politiciens médiocres. Aux dernières municipales, nombre de ses cadres se sont fait élire sans étiquette. Le parti conserve néanmoins des positions dans l’Est et le Sud de la Serbie où il contrôle par exemple la ville de Vranje. Il ne serait pas impossible, toutefois, qu’avec l’ancien maire de Belgrade, l’ex socialiste Covic et son Parti social-démocrate, qui ambitionne d’être autre chose qu’un groupuscule (deux élus) il ne s’oriente ultérieurement vers un réformisme qui clôturerait la période Milosevic.
Par calcul, Vojislav Kostunica a préféré former un gouvernement de coalition branlante plutôt que de s’allier avec le seul partenaire fiable qui lui aurait donné une majorité stable, le SRS. Vu les pressions constantes de la dite communauté internationale pour « livrer Karadzic et Mladic », pour juger les « criminels de guerre », pour forcer à la repentance l’ensemble du peuple serbe, pour détacher le Kossovo de la Serbie, pour provoquer la séparation du Monténégro, fomenter des troubles en Raska (Sandjak) et en Vojvodine, il est normal que le parti du premier ministre, le DSS, dont la caractéristique principale est l’ immobilisme, ne cesse de perdre des voix et que le SRS, qualifié d’« ultra-nationaliste », ne cesse d’en gagner.
En dehors de la coalition gouvernementale deux autres partis de disputent l’électorat, le Parti démocratique (DS) deBoris Tadic (32 députés, héritier de la coalition DOS concoctée en 2000 contre Milosevic et successeur de feu Zoran Djindjic), qui a un groupe parlementaire mais ne participe pas au gouvernement et Pokret Snaga Srbije (PSS) de l’affairiste Bogoljub Karic dont la fortune remonte à « l’ancien régime » où ce Berlusconi balkanique s’y définissait déjà comme un « communiste-capitaliste ». Nouveau mouvement, Force Serbie n’a pas de groupe au parlement mais dispose d’un député débauché du SRS, qu’il a tout simplement acheté. Ce nouveau mouvement a obtenu un résultat mitigé aux municipales. Enfin on mentionnera la Liste pour le Sandjak de Suleiman Ugljaninet l’Alliance civique (GSS)2 sièges chacun ainsi que l’Union sociale-démocrate SDUde Zarko Korac (un seul).
4. Quelle analyse faites-vous de l’assassinat de Zoran Djindjic ?
J’ai évoqué Zoran Djindjic. La presse occidentale a parlé de « mafia », de « soldats perdus », de complot de nostalgiques de l’ancien régime. Il semble en fait que Djindjic ait été tué pour le compte des Américains à un moment où il devenait gênant. A ce moment-là (en mars 2003), après avoir livré Milosevic à La Haye, Djindjic alors premier ministre avait décidé de réviser complètement sa position par rapport aux Américains. Quelques jours avant d’être assassiné, dans une interview au quotidien Vecernje Novosti, il tapait du poing sur la table et déclarait vouloir régler définitivement la question du Kossovo en privilégiant des Etats européens comme la France et l’Allemagne. Il voulait, tout-à-coup, mettre hors jeu les Etats-Unis et organiser une grande conférence pour la paix au Kossovo dans une capitale européenne. Je l’ai dit dans une interview à l’hebdomadaire Nin six mois avant que la presse de Belgrade ne divulgue l’information au grand public car j’avais un renseignement précis: pour assassiner Djindjic il y avait deux armes différentes et deux équipes. D’aucuns évoquent une opération menée par l’Intelligence Service (MI 6) qui sait très bien travestir les assassinats politiques. Ceux que l’on a rapidement arrêtés (la dite « mafia de Zemun ») sont ceux qu’il était prévu d’arrêter dans le scénario. Aux premiers pas de l’enquête deux témoins gênants ont été tués d’une balle entre les deux yeux et une villa qui servait de repère et pouvait contenir des indices a été détruite. Par l’intermédiaire de ses relais du Parti démocratique et de l’Alliance Civique GSS au gouvernement du DOS encore en place l’administration américaine en a profité pour essayer de détruire l’Opposition nationale-patriotique (plus de 10.000 arrestations en quelques jours sous le prétexte de l’état d’urgence par l’Opération « Sablja» (Sabre). En Occident les organisations des droits de l’homme n’ont pas protesté. On a même essayé d’impliquer Kostunica dans l’affaire. Pendant un mois la Serbie ressemblait à ces dictatures d’Amérique centrale d’il y a trente ans.
Pour en revenir à Djindjic les Américains et leurs alliés britanniques ne pouvaient tolérer que soit recherchée une solution rapide et définitive à la question du Kossovo tout simplement parce qu’ ils veulent que cela dure. Leur « peacekeeping» et « peacemaking» est un leurre. Contrairement à ce qu’ils prétendent, non seulement les crises et les espaces de non droit ne les gênent pas mais encore ils les suscitent et les utilisent pour intervenir et installer des bases militaires à proximité des gisements de pétrole, des oléoducs et des champs de pavot. Les illuminés de la « plus grande démocratie du monde » et les administrateurs de son complexe militaro-industriel n’ont que faire des tragédies qu’ils provoquent, des centaines de milliers de victimes qu’ils occasionnent et rien à faire non plus de leurs propres pertes si ces dernières sont peu médiatisées. D’où la nécessité d’un contrôle total de l’information de façon à occulter l’essentiel et à divertir le public par une information de faits divers et de frivolités. C’est la fonction de la « presse libre et démocratique ».
Inséparable du thème de « guerre contre la terreur » la conduite des conflits justifie les augmentations vertigineuses de crédits, fait tourner la machine de guerre et remplit les comptes en banque d’un très petit nombre, tandis que l’on berce les chaumières avec la «démocratie » et les « droits de l’homme ».
Pour conclure avec Djindjic, sa « rébellion » intervenait à un mauvais moment pour lui, au moment même de la fronde franco-allemande à l’ expédition irakienne, un événement qui devait mettre en fureur les parrains de Washington. Djindjic devait en subir immédiatement les conséquences. Les Américains éliminent toujours leurs anciens pions surtout quand ils font mine d’ avoir tout d’un coup quelque velléité d’indépendance. Depuis, les enseignements en ont été tirés, Tadic le successeur de Djindjic, obéit au doigt et à l’oeil à sesmaîtres anglo-saxons. Depuis la débâcle du DOS aux élections générales il est chargé de recycler les débris de l’ancienne opposition démocratique (GSS et autres Otpor) dans le Parti démocratique dont il a hérité et, avec les importants moyens financiers fournis par l’Occident, de s’opposer à l’ascension au pouvoir du Parti radical.
Parallèlement à cela un groupe d’une cinquantaine de personnes lové dans les ministères stratégiques (notamment au SMIP, les Affaires étrangères) sous l’influence d’un certain Vojin Dimitrijevic, mentor du GSS, travaille toujours directement avec des conseillers US (et britanniques) à appliquer les directives de Washington. Les électeurs peuvent voter et les députés pérorer et gesticuler au Parlement, tout cela n’a pas une grande importance, le pouvoir réel mis en place par Washington reste aux leviers de commandes quel que soit le résultat électoral tandis que s’agitent les figurants du Parlement. Jusqu’à ce que cela craque. Et quand cela craquera ces gens-là ont intérêt à évacuer vite..