Le vieillissement : un concept du passé ?
C'est ce que pourrait laisser penser deux études récemment publiées par des équipes du Salk Institute for Biological Studies de La Jolla, en Californie. Le vieillissement humain reste cependant aujourd'hui un phénomène peu compris et son étude reste complexe, notamment par le fait que ce processus s'étend aujourd'hui sur une durée de vie pouvant dépasser 80 ans. De plus, les causes mêmes du vieillissement sont mal connues et de nombreux processus semblent se combiner, à des niveaux différents, pour contribuer à ce phénomène. A l'échelle génétique, les télomères semblent être à l'origine du vieillissement de notre ADN. Au niveau protéique, des accumulations de protéines mal formées sont à l'origine du décès de certaines cellules. A l'échelle cellulaire, le stress oxydatif lié à l'activité des mitochondries est également une source de toxicité qui prend son dû avec l'âge. A l'échelle macroscopique, l'environnement et la nutrition jouent également des rôles. Les deux études menées au Salk Institute permettent d'éclaircir certains de ces points.
Un régime spartiate pour la longévité
Récemment, des études ont montré qu'il était possible d'accroître de façon substantielle la durée de vie de certains animaux et de réduire leur risque de maladies liées à l'âge (cancer, diabète, maladies cardio-vasculaires, etc.) en réduisant leurs apports nutritionnels quotidiens et plus particulièrement la quantité de calories ingérées chaque jour. L'étude de la restriction calorique a montré que ce régime était à l'origine de l'activation d'une enzyme appelée AMPK (AMP-activated protein kinase), présente chez de nombreuses espèces animales. L'action de cette enzyme sur la régulation du métabolisme avait déjà été étudiée dans le cadre de recherches sur l'obésité [1] [2]. Dans le cadre de la recherche sur le vieillissement, il a été montré que la réduction calorique active l'AMPK, qui régule alors l'activité cellulaire pour réduire leur consommation énergétique. Ce ralentissement métabolique est à l'origine de l'augmentation de durée de vie observée mais le processus enclenché par AMPK et les biomolécules avec lesquelles il interagit dans ce mécanisme étaient jusqu'à présent inconnus. Une équipe menée par Andrew Dillin et Reuben Shaw a étudié, chez Ceanorhabditis elegans (un ver utilisé comme modèle), les cibles possibles d'AMPK [3].
En étudiant le génome du ver, ils ont trouvé une cible probable : une protéine appelée CRTC1 (CREB-regulated transcription coactivator 1). En inhibant la production de CRTC1 chez Ceanorhabditis elegans, les chercheurs ont observé une augmentation de 40% de sa durée de vie. L'équipe a par la suite confirmé le lien entre AMPK et CRTC1 en montrant que la première inactive la seconde en catalysant la phosphorylation de la seconde. L'ajout d'un groupement phosphate sur un site précis de CRTC1 désactive en effet cette protéine. Le rôle clé de CRTC1 dans le processus a d'ailleurs été confirmé par l'étude de son interaction avec une autre enzyme, appelée calcineurine, qui joue le rôle d'opposé d'AMPK et retire le groupement phosphate qui désactive CRTC1. En résumé, CRTC1 peut être comparé à un interrupteur du vieillissement, qui peut être soit allumé par la calcineurine, soit éteint par AMPK. De plus, le site de phosphorylation clé de CRTC1 est très largement conservé au sein du règne animal.
La conjonction de ces deux propriétés fait de cette protéine une excellente cible pour la mise au point d'un traitement pharmaceutique. En mettant au point un composé inhibant directement CRTC1, les chercheurs espèrent parvenir à répliquer les effets bénéfiques de la réduction calorique sur la longévité, tout en évitant son plus gros défaut : le fait de devoir se maintenir dans un état de faim perpétuel.
Etudier les pathologies du vieillissement pour mieux comprendre le phénomène
En parallèle, une autre équipe du Salk Institute, menée par Juan-Carlos Izpisua Belmonte s'est penchée sur l'étude d'une pathologie humaine très rare et actuellement incurable, appelée syndrome d'Hutchinson-Gilford (ou progéria), pour comprendre les mécanismes liés au vieillissement cellulaire. Cette maladie est en effet caractérisée par un vieillissement accéléré de l'être humain, qui montre des signes de sénescence dès l'âge de deux ans. Les enfants atteintes de cette maladie sont très rares (64 cas référencés dans le monde actuellement) et décèdent généralement de maladies vasculaires avant l'âge de 13 ans. Cette maladie est causée par une mutation unique du gène codant la lamine A, une protéine jouant un rôle critique dans l'organisation du noyau des cellules. La mutation provoque la synthèse d'une version raccourcie de la lamine A, appelée progérine, qui ne joue dès lors plus son rôle dans la structuration du noyau, causant en conséquence de nombreux problèmes sur l'activité génétique de la cellule. Les cellules prennent alors très rapidement un aspect "âgé" caractérisé par un noyau malformé et un ADN replié de façon incorrecte.
L'équipe du Dr. Belmonte a créé une lignée de cellules souches pluripotentes induites à partir de fibroblastes (cellules de peau) de patients atteints de progéria. Leur objectif est d'utiliser ces cellules souches pour créer différents types de cellules différenciées et observer les effets du vieillissement accéléré dans chacune de ces lignées. Il est ainsi possible d'observer en l'espace de deux semaines des phénomènes qui prennent plusieurs décennies chez la plupart des êtres humains. On pourrait cependant penser que la lignée de cellules souches obtenue soit également soumise à un vieillissement accéléré. Le fait que ce ne soit pas le cas constitue un résultat en soi et une étude supplémentaire a montré que la lamine A/progérine n'était pas synthétisée dans les cellules souches mais uniquement dans les cellules différenciées. Dès que ces cellules souches sont différenciées, la synthèse de progérine débute et les symptômes cellulaires de la progéria se manifestent à nouveau.
La lignée de cellules souches obtenue permet non seulement d'étudier les effets du vieillissement dans différentes catégories de cellules mais également une autre action de la progérine. L'équipe du Dr. Belmonte a en effet montré que la progérine s'accumule et forme des amas, principalement dans les cellules de muscle lisse qui tapissent l'intérieur des vaisseaux sanguins artériels. Les amas provoquent la dégénérescence de ces cellules, ce qui provoque les maladies vasculaires souvent fatales pour les personnes atteintes de progéria. L'accumulation de protéines dans ces cellules pourrait constituer un biomarqueur d'intérêt pour le suivi du vieillissement physiologique.
Enfin, les chercheurs ont montré qu'il était possible d'empêcher l'apparition du vieillissement accéléré en modifiant génétiquement les cellules souches induites pour inhiber la synthèse de progérine. Cette opération pourrait constituer une piste de traitement pour la progéria. Dans tous les cas, l'obtention de cette nouvelle lignée cellulaire constitue une avancée intéressante pour l'étude du vieillissement. L'étude a été publiée dans la revue Nature [4].
Ces deux études montrent la complexité et la variété des phénomènes liés au vieillissement. Les évolutions démographiques observées à l'échelle de la planète font de l'étude du vieillissement un sujet de grande importance dans le domaine de la biologie.
Pour en savoir plus, contacts :
- [3] Article (en Anglais, abonnement requis pour accéder au texte complet) :
http://www.nature.com/nature/journal/v470/n7334/full/nature09706.html
- [4] Article (en Anglais, abonnement requis pour accéder au texte complet) :
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/x0bok
- Sur le Salk Institute (en Anglais) : http://www.salk.edu/
Code brève
ADIT : 65950
Source :
- [1] Découverte chez la souris d'un médicament qui "brûle" les graisses, Alexandre Touvat, Bulletin Electronique Etats-Unis 195,
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/62275.htm
- [2] La marmotte, modèle de recherche sur l'obésité humaine, Alexandre Touvat, Bulletin Electronique Etats-Unis 214, http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/63881.htm
- Hungering for longevity - Salk Scientists identify the confluence of aging signals, The Salk Institute for Biological Studies, 17 février 2011, http://www.salk.edu/news/pressrelease_details.php?press_id=472
- Aging, interrupted, The Salk Institute for Biological Studies, 23 février 2011, http://www.salk.edu/news/pressrelease_details.php?press_id=473
Thomas Biedermann, deputy-sdv.mst@consulfrance-losangeles.org
BE Etats-Unis numéro 237 (25/02/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65950.htm