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| Sujet: Le paneuropéanisme (point de vue politiquement correct) Jeu 15 Fév - 22:11 | |
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- L'idée de paneuropéanisme
Par
Monsieur Jean-Luc CHABOT Professeur de science politique à la Faculté de Droit de Grenoble II Directeur du Carrefour disciplinaire " Penser l'identité européenne "
Compte-rendu de séance rédigé par François BARQUE, Diplômé de l'Institut d'Etudes politiques de Grenoble Titulaire du D.E.A. de Droit public fondamental - Faculté de Droit de Grenoble II
* Réfléchir sur l'idée de paneuropéanisme amène tout d'abord à situer temporellement l'émergence de cette expression. Il semble que le mot " paneuropéanisme " soit dû à Richard de COUDENHOVE KALERGI ( 1894-1973). Ce comte autrichien lance en effet dans les années 1924, à Vienne, un mouvement : " l'Union paneuropéenne " : toujours d'actualité, il est lié au premier ouvrage du Comte, Paneuropa ( 1923). L'idée est, certes, originale mais COUDENHOVE KALERGI n'innove pas entièrement ; il imitait plutôt un courant qui existait déjà : le panaméricanisme. Ce mouvement se développe vers la fin du XIX° siècle ( plus précisément en 1889), à l'initiative des Etats-Unis d'Amérique et se situe dans la continuation de la Doctrine Monroe ; il finira par déboucher, au sortir de la deuxième Guerre mondiale, sur la création de l'Organisation des Etats américains ( O.E.A./ Charte de Bogotà). * Le paneuropéanisme repose sur un lien entre un projet politique ( à savoir la recherche de l'unité de l'Europe ) et un espace politique ( ce qui fait référence au continentalisme : un espace s'identifie à un continent ). Ce paneuropéanisme se distingue donc d'un paneuropéansime qui chercherait à réaliser des conquêtes, à garantir un leadership européen : une telle distinction s'avère logique, l'européanisation du monde ayant déjà eu lieu, par le biais de la colonisation, où des Etats nations d'Europe ont projeté la culture européenne dans le monde.
Ces deux considérations introductives amènent à envisager le paneuropéanisme comme un paradoxe : en effet, dès la fin de la première guerre mondiale, on cherche, par le biais de ce mouvement, à créer l'unité du continent européen. Une telle recherche amène à s'interroger sur la vision politique de l'Europe que propose le paneuropéanisme ( I ), avant de présenter les problèmes actuels liés à la cohérence politique de cet espace que ce mouvement souhaite unifier ( II ).
I) Le paneuropéanisme en tant que vision politique d'un espace
Envisager le paneuropéanisme comme étant la vision politique d'un espace amène tout d'abord à réfléchir sur les concepts de continent et de continentalisme ( A ), avant de présenter les moments marquants de l'histoire de ce mouvement ( B ).
A) Continentalisme et paneuropéanisme
* Si l'on souhaite comprendre le paneuropéanisme, il semble primordial de réfléchir sur le sens de la notion de " continent ". Ce mot est intimement lié au développement de la géographie, science cherchant à donner, dès le XIX°siècle, une cohérence à l'espace mondial. Les géographes de l'époque souhaitent ainsi diviser le monde en cinq continents. Si l'Afrique et l'Amérique sont des continents qui ne suscitent pas d'interrogations et de doutes, les autres continents proposés posent davantage problème, et tout particulièrement l'Europe et l'Asie. En effet, comment va-t-on établir la frontière entre l'Asie et l'Europe ? Quels critères tirés de la géographie physique apparaîtront pertinents ?
Ces interrogations peuvent également être formulées au sujet de la division du monde que propose COUDENHOVE KALERGI. L'explication continentale qu'il fournit aboutit aussi à cinq grands ensembles qui se différencient quelque peu des précédents. Ces différences s'expliquent notamment par le fait que le Comte autrichien a utilisé des paramètres différents ( on pense notamment au paramètre politique ). Sa réflexion propose donc les cinq continents suivants : - La Panamérique ( elle représente le continent américain uni) - La Panasie ( elle regrouperait tous les peuples d'Asie et serait dominée par le Japon et la Chine ) - La Paneurope ( COUDENHOVE KALERGI se permet toutefois d'y exclure la Grande Bretagne et l'U.R.S.S. ). - La Grande Bretagne ( dite " la Baleine " ; la taille de son empire colonial fait que KALERGI l'exclut de la Paneurope ) - L'U.R.S.S. ( KALERGI la laisse à l'écart pour des raisons évidentes d'idéologie )
Une telle vision géopolitique que nous propose COUDENHOVE KALERGI a été tant contestée qu'il dut y apporter quelques modifications. En effet, lors du premier Congrès du mouvement, en 1926, il se heurtera à l'opposition de la France et de l'Allemagne qui réclament vivement la présence de leur allié, la Grande Bretagne. C'est donc à partir de cet épisode que l'Union paneuropéenne ne l'exclura plus. En outre, cette division du monde souligne le fait que le continent européen s'arrête à une frontière idéologique : la Paneurope s'arrête aux alentours des Etats baltes et de la Moldavie, c'est à dire aux portes de l'U.R.S.S..
Ces réflexions sont indéniablement nourries par le modèle américain : on peut même parler de fascination pour l'Amérique. On cherche à l'imiter, non seulement en observant la Panamérique mais également les Etats Unis. Or, cela semble quelque peu étrange ; en effet, l'Europe et les Etats Unis n'ont rien en commun, tout les oppose, bien au contraire. Qu'on songe, par exemple, à la formation des Etats Unis d'Amérique : l'unité existait avant l'émergence d'une fédération ( non seulement grâce à la présence d'une langue et d'une culture commune, mais également par l'élimination des Indiens ). Or, force est de constater que tel n'est pas le cas pour l'Europe.
* La question du continentalisme débouche sur une réflexion au sujet des frontières de l'Europe. On peut légitimement se demander en effet, quels seront les éléments permettant de fixer les frontières de l'Europe à l'Est. Une solution fréquemment proposée, l'Oural en tant que frontière, ne semble guère pertinente : il s'agit plutôt d'un mythe car l'Oural n'est pas infranchissable. Le problème est, en fait beaucoup plus complexe : trois éléments de réflexions le prouvent et amènent à dépasser l'outil que représente la géographie physique :
1- Que faire de la Russie ? Certes si des éléments de géographie physique invitent à rendre peu probable son appartenance au continent Europe, on peut démontrer aisément que la culture russe est à dominante occidentale : Moscou, capitale actuelle, ou encore Saint Petersbourg, ancienne capitale, ne se situent-elles pas à l'Ouest, tournées vers l'Occident ? Le mode de pensée occidentale domine en Russie et cet élément suffirait à affirmer que la Russie est culturellement liée à l'Europe. 2- Que faire de la Turquie ? Il ne semble pas exister de raisons valables pour l'exclure de l'Europe. Qu'on se souvienne effectivement des voyages effectués par Saint Paul : ce dernier passait toujours par la Turquie. 3- Le problème des îles. Certaines îles, qui font partie intégrante d'un pays appartenant à l'Europe, posent problème, et ce, à double titre. D'une part, certaines îles n'appartiennent pas aux institutions européennes mais appartiennent au continent européen. D'autre part, des îles qui appartiennent aux institutions européennes ne font pas partie du continent européen ( tel est le cas de la Guyane ; il est d'ailleurs intéressant de souligner que COUDENHOVE KALERGI conseillait à la France de vendre cette terre d'Amérique du Sud aux Etats Unis pour que son système de répartition du monde en cinq continents soit cohérent !).
Une réflexion sur le sens de la notion de " continent " et du " continentalisme " montre à tel point l'idée de paneuropéanisme est délicate à apprécier. Néanmoins, cette dernière s'est développée de façon variable au fil du XX°siècle.
B) Les moments du paneuropéanisme
Deux périodes sont à distinguer dans la jeune histoire de ce mouvement.
· 1923 - 1933 : cette période démarre avec la publication de l'ouvrage de COUDENHOVE KALERGI ; elle s'achève avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933 : le mouvement paneuropéen est d'autant plus brutalement stoppé que l'une des premières mesures prises par le Führer a été d'interdire en Allemagne ledit mouvement. Il est toutefois possible de parler de période initiatique : le paneuropéanisme commence tout juste à s'étendre et à connaître quelques apogées. On pense notamment à la proposition avancée par la France le 17 mai 1930 visant à créer une Union européenne mais également à la création, dans les années 1930, de la Commission d'études de l'Union européenne pour la Société des Nations ( S.D.N.).
· Si l'idée de création d'une Communauté du Charbon et de l'acier ( C.E.C.A.) ne relève pas initialement d'une logique paneuropéenne, six Etats étant seulement concernés, elle a le mérité de chercher à bâtir une union entre quelques Etats du continent européen.
· Dès les années 1989-1991 : le deuxième temps du paneuropéanisme s'ouvre donc avec la chute des régimes communistes en Europe. S'ouvrent alors des perspectives d'élargissement du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne vers ces pays de l'Est.
L'effondrement de l'U.R.S.S. et le retour à la démocratie dans ses anciens pays satellites et ses anciens membres pose à nouveau la question du paneuropéanisme. En effet, le Conseil de l'Europe a accueilli ces nouveaux Etats ( excepté le Bélarus ) ; l'Union européenne s'apprête à le faire pour quelques-uns uns d'entre eux. Le mouvement redevient d'actualité et les thèses de COUDENHOVE KALERGI avec. Il faut désormais s'attacher à comprendre la signification de ce paneuropéanisme actuel.
II) Le paneuropéanisme face au problème de la cohérence politique d'un espace
Trois interrogations se présentent : peut-on parler de cohérence géopolitique du continent paneuropéen ? ( A ) Quelle est son identité ? ( B ) Existe-t-il une cohérence des objectifs planétaires de ce continent ? ( C ).
A) Le problème de la cohérence géopolitique du continent paneuropéen
Les situations sont très variées selon les différentes organisations européennes et leurs évolutions récentes. On étudiera trois exemples :
· Le Conseil de l'Europe : ses dirigeants ont choisi d'accepter tous les Etats issus de la chute du bloc soviétique. Il s'agit, certes d'une fuite en avant, mais également d'une ouverture pédagogique et d'adhésions thérapeutiques. Cet élargissement massif conduit à un bouleversement géographique notable : des pays d'Asie occidentale ou encore la Russie appartiennent désormais à l'organisation. Force est de constater, par conséquent, que le Conseil de l'Europe est plutôt, aujourd'hui, le Conseil de l'Eurasie.
· L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ( O.S.C.E. ) :cette organisation regroupe aujourd'hui la quasi-totalité des pays de l'Hémisphère Nord. Depuis les années 1990, en effet, elle embrasse non seulement l'Amérique du Nord ( Etats Unis, Canada ), mais également la Russie ou encore les ex Etats de l'U.R.S.S.. Où est donc le paneuropéanisme qu'on s'attend à trouver dans cette organisation ? L'appellation d'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe demeure-t-elle pertinente ?
· L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord ( O.T.A.N.) : L'O.T.A.N. a survécu à la fin du monde bipolaire : cette persistance sur la scène internationale s'explique en partie par la confiance que lui portent les P.E.C.O. ( pays de l'Europe centrale et orientale ). Ces derniers restent méfiants à l'égard des pays européens ( qui les ont souvent abandonnés tout au long de l'histoire ). Ce succès de l'O.T.A.N. pose donc également le problème de la cohérence géopolitique du continent paneuropéen.
B) Quelle identité pour le continent paneuropéen ?
La question de l'identité sur laquelle s'appuie le continent paneuropéen apparaît primordiale. La religion pourrait y jouer un rôle certain. En effet, selon de nombreux auteurs, tel Monsieur Régis DEBRAY, l'histoire de l'Europe reste l'histoire de la Chrétienté ( Rome et Athènes ne constituèrent-elles pas l'élément fédérateur de la construction européenne ? ). Toutefois, la place importante de la Chrétienté ne doit en aucun empêcher l'acceptation d'autres visions du paneuropéanisme : pourquoi interdirait-on à la Turquie, par exemple, d'appartenir à l'Union européenne ? En outre, il semble nécessaire de s'efforcer de reconnaître les minorités vivant en Europe : cette tache s'avère importante pour réussir à trouver une identité européenne, à comprendre les moteurs animant le paneuropéanisme. L'erreur serait de s'appuyer sur l'identité européenne en tant qu'identité du Marché commun. Cette optique fait que l'on s'appuierait sur une idée qui n'est pas du tout propre au paneuropéanisme mais qui, bien au contraire, est partagée au niveau planétaire : le Marché commun ne spécifie en rien l'Europe en tant que continent.
Les réflexions du Général de Gaulle et de Jean-Paul II viennent alimenter ces interrogations sur l'identité européenne. Selon le Général de Gaulle, le phénomène que représentait l'U.R.S.S. était résolument temporaire : sa célèbre formule, " l'Europe de l'Atlantique à l'Oural " vient le démontrer. Quant au Pape, de nombreux discours, notamment ceux qu'il a prononcés dans les années 1980, invitent à ne pas oublier l'Europe de l'Est dans la construction du continent paneuropéen. Ainsi son souhait de nommer Saint Cyril et Saint Méthode comme co-patrons de l'Europe est révélateur : ils évangélisèrent, en effet, l'Europe centrale et orientale. De la même façon, Jean-Paul II a créé trois co-patrons en 2000 : ces personnes venaient d'ailleurs de toute l'Europe. Ces quelques réflexions montrent qu'il existe une identité qui renvoie à une identité culturelle ; l'identité du continent européen serait la chrétienté culturelle.
C) La cohérence des objectifs planétaires du continent paneuropéen
Le continent paneuropéen n'a pas encore d'objectifs planétaires ni de projets communs clairs : dans ce domaine, l'avancée des petits pas est de rigueur. De même, il est à déplorer l'absence d'unité de vue opérationnelle. Certes, on pourrait nuancer ces propos en remarquant l'existence d'une Politique étrangère et de sécurité commune ( P.E.S.C. ), d'une Politique étrangère et de défense commune ( P.E.S.D. ) : toutefois, cela reste à l'état embryonnaire, sans caractère opérationnel tant en volume qu'en organisation.
Il en découle une division du continent paneuropéen, conséquence d'une absence d'unité au niveau politique. L'exemple de la récente guerre du Golfe l'illustre clairement. Le continent a été incapable de trouver un objectif commun : les divisions entre Etats ont été plus fortes. Aussi, deux grands camps sont à opposer ( outre le camp des pays qui n'ont pas pris une position prononcée ) :
1- L'Europe des 6 moins l'Italie : ces Etats refusent la guerre. 2- L'Espagne, l'Italie, la Grande Bretagne et les P.E.C.O. ( dont la Pologne, par exemple ) : ils soutiennent l'offensive américaine.
Comment peut-on parvenir à ce que le paneuropéanisme garantisse un rang mondial au continent sur le plan politique ? Les anciennes puissances ( la Russie, la France, l'Allemagne, …) sont toujours présentes sur la scène internationale et maintiennent toujours une logique stratégique mondiale. Cette lacune du paneuropéanisme débouche donc sur une distorsion totale entre le politique et l'économique. |
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Ferrier Administrateur
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| Sujet: Re: Le paneuropéanisme (point de vue politiquement correct) Ven 16 Fév - 11:46 | |
| Très bon auteur que Chabot. | |
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