des nouvelles sur l'affaire Jésus

tiré de Science et Avenir :
RELIGION. DÉCOUVERTE D'UN MANUSCRIT DÉRANGEANT
L'ÉVANGILE DE JUDAS

Apparu en 1983, égaré et aujourd'hui en cours de restauration en Suisse, un codex de papyrus pourrait révolutionner une base du christianisme:Il donne une nouvelle version de la «trahison» du Christ. Judas aurait simplement obéi à un ordre divin.

C'est un livret inédit, mais très abîmé, en feuilles de papyrus rongées, qui ne paie pas de mine. Il est lacunaire, seulement une trentaine de pages, auxquelles il manque la partie supérieure, déchirée sans que l'on sache trop quand.

Mais il pourrait révolutionner notre connaissance du christianisme des origines car il s'agit d'un évangile encore inconnu, un évangile signé Judas! Oui, Judas l'Iscariote, l'apôtre de Jésus, son commensal, son frère et néanmoins celui qui le trahit dans le jardin des oliviers pour trente sicles d'argent!

La figure mythique du traÎtre aurait donc sa version des faits, de la même manière que les autres, les «bons» que l'église a retenus et canonisés avec leurs écrits, les Matthieu, Jean, Luc et Marc. Le plaidoyer s'annonce cinglant, en tout cas pour les spécialistes qui croyaient ce texte à jamais perdu...Et qui devront attendre Pâques 2006, pour y avoir accès.

«Ce codex sera publié intégralement traduit en anglais, allemand et français, avec tout le matériel photographique, sous la forme d'un beau livre destiné aux spécialistes, se réjouit Mario Roberty, le directeur de la Maecenas foundation for Ancient Art, Bâle, qui detient l'évangile. Cet ouvrage sera consigné par le professeur Rodolphe Kasser, à qui nous avons confié le manuscrit en 2002, ainsi que les professeurs Gregor Wurst, François Godard et Marvin Meyer.»

Seuls quelques fragments ont pu être déchiffrés à ce jour, notamment par le professeur américain Charles W. Hedrick, qui a pu l'étudier chez un antiquaire de l'Ohio.«A la dernière page du manuscrit, il apparut que Judas obéissait à Dieu en trahissant Jésus, remarque-t-il. C'est une nouvelle vision qui ne nous dit pas qui il était en réalité, mais comment le voyaient ceux qui ont écrit cet évangile et qui le considéraient, en fin de compte, comme un héros.» Une version à des années-lumière de la vulgate chrétienne selon laquelle Judas est le traître par excellence! On n'en sait pas beaucoup plus sur ce codex, sinon qu'il est en sécurité quelque part en Suisse, confié à des universitaire qui l'étudient sans communiquer, à la demande de la Maecenas foundation.

Comme tous les évangiles, celui de Judas est un récit édifiant qui peut prendre la forme d'un témoignage soi-disant direct d,un apôtre au sujet des paroles et des actions de Jésus. Évangile , qui vient du grec evanggelion, signifie d'ailleur «bonne nouvelle». On en connaît 34, mais seulement quatre ont été canonisés (Marc, Matthieu, Luc et Jean), les trente autres sont qualifier d,apocryphes (littéralement «tenus secrets») et ne sont donc pas reconnu par l'église. Par définition, celui de Judas est apocryphe. Pour cause. Un évêque de Lyon du IIime siècle, Irénée, en dénonce le caractère hérétique:«Ils déclarent que Judas le traître était bien avisé de ces choses [que Caïn était le fils du pouvoir Suprême-du vrai Dieu- et fut victime des assauts du Créateur-le faux Dieu-], et que lui seul, connaissant la Vérité comme aucun autre, a accompli le mystère de la trahison, que par cet acte toutes les choses, sur la terre comme au ciel, en furent donc boulversées. Ils ont produit une histoire fictive de ce genre, qu'ils ont appelée l'Évangile de Judas.»(Adversus Haereses XXX-1 c.180) Mais pour son auteur, celui qui signe Judas donc-et «dont on ne saura probablement jamais la véritable identité» déplorent tous les spécialistes- cette histoire n'est en rien fictive, elle est bel et bien une « Bonne Nouvelle».

Le sauveur, en l'occurence Jésus, y apparaît sous les traits d'un mystérieux personnage appelé Allogène(Étranger, l'autre nom de Seth, le troisième fils d'Adam et Ève), Judas sous son propre nom, et le diable, car il faut un démon pour pousser les hommes à mal agir, sous celui de Sakla. C'est une sorte de dialogue écrit en dialecte copte des premiers chrétiens d'Égypte, le sahidique.«L'oeuvre serait une copie du IVime siècle d'un texte plus ancien, contemporain des autres évangiles (seconde moitié du Ier siècle) et qui, comme eux, fut rédigé en grec» note James Robinson, professeur émérite à l'université de Claremont, Californie.

Comme l'indique sa provenance présumée, entre le Caire et Louxor, et ce qu'en dit Irénée, l'Évangile de Judas appartient à une tradition littéraire qui faisait florès en Egypte à l'époque romaine et que l'on qualifie généralement de «gnostique». Le gnosticisme (du grec gnose, connaissance spirituelle) était un ensemble de cercles initiatiques plus ou moins confidentiels, païens ou chrétien, qui considéraient le monde comme l'oeuvre du malin. Souvent d'inspiration platonicienne, le gnosticisme méprisait les juifs et leur Dieu Yahvé, le «démiurge» ou «créateur». Les gnostiques les jugeaient responsables de toutes les imperfections et malédictions de ce bas monde, de toutes les illusions dont les hommes sont les victimes et qu'une poignée d'élus surmonteras à la fin des temps. Ces mouvements ont été durement frappés par l'église triomphante à partir du IVieme siècle. Quant aux idées qu'ils développèrent, elles leur ont survécu sous diverses formes comme le manichéisme, puis beaucoup plus tard, l'occultisme...

Dans le cas qui nous préoccupe, et à en croîre l'évêque de Lyon Irénée, l'évangile de Judas serait l'oeuvre principale, sinon la profession de foi, d'une secte gnostique particulièreL: les Caïnites. Installés en Égypte et au Levant, ces derniers s,estimaient les héritiers de Caïn, le premier forgerons(qaïn en hébreu ancien) et le sacrificateur de son frère jumeau Abel. On n'en sait guère plus sur cette secte, comme sur de nombreux autres groupes gnostiques de l'époque.

En revanche, le fait de considérer Judas l'Iscariote comme un initié, le seul des douze apôtres soit dit en passant, est en soi une information capitale. En effet, pour les Caïnites, Judas, en tant que légataire de Caïn (le fils du vrai Dieu et récipiendaire de la Sophia, la sagesse divine) est un personnage essentiel dans l'accomplissement du sacrifice de Jésus, indispensable à sa rédemption et au rachat de l'humanité. En d'autre mots, sans Judas, point de Salut! «Dans la perspective où Judas est l'instrument d'un dessein cosmique, un acteur nécéssaire dans le drame du sacrifice, on s'attendrait à ce que tout motif personnel qui lui est attribué soit sans contenu... Et c'est effectivement le cas», affirmait Hyam Maccoby.

A l'inverse de certains évangilistes comme Jean ou Matthieu, pour qui la possession diabolique ou encore l'avarice de Judas (un des thèmes favoris de l'antisémitisme) sont les seuls motifs de sa trahison, les Caïnites devaient considérer que Judas, le bien-aimé de Jésus, avait la plus difficile des missions à accomplir: livrer le Sauveur aux Romains parce qu'Il le lui avait demandé. «[...] Le fils de l'homme s'en va selon ce qui est écrit de lui, mais malheureux l'homme par qui le fils de l'homme est livré! Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne fut pas né, cet homme-là!»(Marc 14,20-21) Car il allait lui-même devenir la victime expiatoire de la communnauté. C'est ainsi que l'on peut réunir les deux fins possibles du Traître.

Selon Matthieu, Judas fut pris de remords. Il se serait pendu après avoir tenté de rendre les trente sicles d'argent que le grand prêtre lui avait remis pour prix de sa trahison. Dans les actes des Apôtres, il serait mort accidentellement éventré dans le champ qu'il avait acquis grâce à ce même argent.«Aussi curieux que cela puisse paraître, Judas par sa mort, est d'une certaine façon une victime sacrificielle plus authentique que ne l'est Jésus lui-même», ajoutait Hyam Maccoby.

Voilà pour la dimension symbolique et religieuse du personnage. Que reste-t-il pour autant du véritable Judas Iscariote, si tant est qu'il ait exister? Fils de Simon Iscariote, Judas était un des disciples les plus proches de Jésus. Tellement proche au demeurant que certains exégètes ont estimé que tous les Judas qui entouraient le Messie, Judas le frère de Jacques le juste, Judas l'Apôtre alias Jude et Judas l'Iscariote n'en faisaient qu'un seul: Judas le frère de Jésus (avec Jacques le juste). Selon cette hypothèse, Simon l'Iscariote, son père, ne serait qu'une fiction littéraire destinée à effacer toute consanguinité entre le Christ et son Traître. Cependant le nom de Judas «Iscariote» est un indice intéréssant qui en dit finalement assez long sur les origines du christianisme. Iscariote n'a aucun sens en hébreu ni en araméen. Certain historiens penchent en faveur d'un mot d'importation, le terme latin sicarius (sicaire), un tueur à gages armé d'un poignard. Question: si Judas était le sicaire de Jésus, qui devait-il abattre et pour quel salaire? Même s'il confia la tâche aux romains, Judas aurait-il obéi à Jésus de la plus héroïque des façons? Et l'évangile enfin retrouvé pourrait, de façon étonnante, le réhabiliter.