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 La question russe : hier, aujourd'hui et demain

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MessageSujet: La question russe : hier, aujourd'hui et demain   La question russe : hier, aujourd'hui et demain EmptyDim 14 Aoû - 10:18

Citation :
Le Monde diplomatique

mars 2004 Pages 12 et 13




LE DEVENIR DU PASSÉ

En Russie, nostalgie soviétique et nouveau patriotisme d’Etat






La réélection probable du président Vladimir Poutine lors du scrutin du 14 mars marquera un tournant politique en Russie. Au seuil d’une nouvelle avancée du capitalisme, le président russe fait face à des exigences de « mise au pas des oligarques », de redistribution des richesses, de reconstitution de la protection sociale et de retour à la puissance. Ces demandes vont de pair avec une réévaluation de l’héritage de l’Union soviétique, non réductible à la caricature qu’en font les libéraux d’une « nostalgie » passéiste.




Par Jean-Marie Chauvier
Journaliste, Bruxelles





Qui n’a vu un jour, fût-ce à l’écran, la sculpture signée Vera Moukhina représentant l’ouvrier et la paysanne kolkhozienne s’élançant vers l’avenir radieux en brandissant faucille et marteau (1) ? Dressée à l’entrée du Parc des expositions de Moscou, elle vient d’être démontée. Pour être, non pas mise au rebut, mais rénovée. Des drapeaux rouges refleurissent le 9 mai pour les célébrations officielles de la victoire sur l’Allemagne nazie, comme aux défilés communistes du 1er mai et du 7 novembre (2). L’hymne de l’URSS retentit à nouveau (3). Des adolescents arborent des maillots ornés de l’inscription « Ma patrie, l’URSS ». Des groupes rock recyclent des « tubes » soviétiques. La bande FM à Moscou retentit davantage de chansons en langue russe. Des cafés branchés et des publicités commerciales se parent également de symboles soviétiques, témoignant ainsi d’une nostalgie postmoderne.

Ce retour du balancier s’est amorcé dès le milieu des années 1990. Les films soviétiques repassent à la télévision « à la demande du public », disent les chaînes. Un éditorialiste s’inquiète : le « peuple soviétique » est toujours là, la nostalgie apparaît comme « la dominante de l’humeur ambiante (4) ». Les sondages d’instituts réputés sérieux confirment : « 57 % des Russes veulent revenir à l’URSS » (2001), 45 % considèrent le système soviétique comme « meilleur » que l’actuel, 43 % souhaitent même « une nouvelle révolution bolchevique » (2003). Les opinions sur le présent apparaissent tout aussi peu « correctes » : discrédit de la « révolution démocratique » d’août 1991 (5) et rejet massif (à près de 80 %) des grandes privatisations « criminelles ». Les démocrates vitupèrent : amnésie (« ils ont oublié le goulag et les pénuries »), haine des riches parce que riches, médiocrité de perdants et de vieux, « la biologie réglera le problème ». Sous M. Vladimir Poutine, des événements politiques sont venus conforter leurs angoisses : poursuites judiciaires contre plusieurs grands oligarques de leurs amis et sponsors (6), reprise de contrôle de grands médias par le Kremlin, réhabilitation du NKVD et du KGB (7), influence croissante des siloviki (8 ) et du FSB, volonté de restaurer l’influence russe dans l’espace ex-soviétique, critiques officielles portées contre les Etats-Unis et leur pénétration dans cet espace, contre leur guerre en Irak, et ce malgré l’« alliance stratégique » nouée par le président Poutine avec Washington au lendemain du 11 septembre 2001.

Les efforts n’ont pourtant pas manqué pour éradiquer le communisme. Depuis 1991, les Russes sont submergés d’archives, d’articles, de livres et d’émissions de télévision dénonçant les « crimes bolcheviques » : terreur rouge sous Lénine et Trotski, « Grande Terreur » sous Staline, famine de 1932-1933, goulag, déportation de peuples « punis » ou « suspects » de collaboration avec l’Allemagne nazie, répressions sous Brejnev. La « bataille de la mémoire », conjuguée avec la promotion des « valeurs marchandes démocratiques », a été livrée avec fougue par les grands médias, des journalistes, des historiens, épaulée par un vaste réseau occidental et surtout américain d’institutions, d’universités et de fondations – Ford, Soros, Hoover, Heritage, Carnegie, USIS, Usaid, sans parler des oligarques philanthropes de Russie (9).

Les débats contradictoires de l’époque Gorbatchev (10) ont fait place au réquisitoire contre l’« empire du Mal » dans toutes ses incarnations. La virulence de cet anticommunisme russe a de quoi faire pâlir les croisés occidentaux. Mais il s’agit d’agiter, à chaque moment de crise menaçante pour le nouveau régime, l’épouvantail du « retour des rouges » et de la guerre civile.

La condamnation du bolchevisme entraîne la réhabilitation de ses opposants, principalement le mouvement blanc et les dissidences. Même certaines collaborations avec les nazis sont vues avec compréhension. Ainsi le chroniqueur des Izvestia Maxim Sokolov tente d’expliquer : « Les temps étaient complexes… [Le IIIe Reich] était l’unique bastion protégeant l’Europe de la barbarie bolchevique. S’il avait vécu jusqu’à nos jours, le Reichsführer SS serait probablement honoré comme combattant contre le totalitarisme (11). »

Ce révisionnisme caricatural – qui ignore les contextes réels, les périodes, les régimes, les sociétés et les cultures très diverses de l’histoire soviétique – est contesté par de nombreux historiens, mais ce n’est pas eux qui donnent le ton. Plus largement répandus sont les best-sellers de Viktor Souvorov. Le dernier en date, sorti fin 2002 (12), s’ouvre sur cette affirmation : « Tous les dirigeants soviétiques, sans exception, ont été des crapules et des vauriens. »

Un des pionniers de l’anticommunisme officiel, Alexandre Tsipko, juge cette mode du dénigrement contre-productive : ses effets démoralisateurs, combinés avec ceux des « réformes confiscatoires », déplorait-il dès 1995, « ont préparé le terrain pour une réhabilitation de l’histoire soviétique (13) ». Il avait bien vu. Au-delà du « système », les attaques visent les valeurs égalitaires et collectivistes, communautaires, tant russes traditionnelles que soviétiques. Elles ciblent les « gens d’en bas », les ouvriers, qui, en même temps que déstabilisés dans leurs conditions de vie, sont stigmatisés comme « complices » de l’ancien régime, « assistés », « paresseux » et « inutiles » au progrès postindustriel (14).

Malgré cette avalanche, la Russie échappe encore à la pensée unique sur l’URSS. Il y a, ici, trop d’expériences vécues, d’héritages culturels, de mémoires déchirées pour permettre ce genre d’uniformité. Les récits de vie peuvent, d’une même veine, charrier les échos chaotiques de temps extrêmes où les frontières étaient mouvantes, imprévisibles, entre la foi cristalline, les joies positives, la chute incomprise et soudaine aux enfers d’une terreur aveugle.

Une Mémoire reconstruite
Un témoin majeur de l’univers concentrationnaire, Varlam Chalamov (15), évoque sa jeunesse frémissante, le rayonnement de Lénine et des idéaux de la révolution (« Quels horizons, quelles immensités s’offraient au regard de chacun, de l’homme le plus ordinaire »), en cette période soviétique très ambiguë des années 1920 (16). La voix de destins plus ordinaires, laissant percevoir les raisons de l’adhésion populaire à ce socialisme-là, se laisse entendre à travers le récit de Lioudmilla, fille de paysans brutalisés par la dékoulakisation, mais qui franchit la frontière des mondes pour gravir, en ville, le chemin de la promotion sociale (17).

Ce fut effectivement celui de millions de ruraux. Parmi les paysans qui ont traversé la guerre civile et sont restés au village après la grande coupure de la collectivisation, d’autres récits de vie ont été collectés en temps utile (18 ), au début des années 1990, lorsque la parole se libéra avant d’être reformatée par l’idéologie anticommuniste dominante.

L’un des problèmes de la mémoire reconstruite dans ce nouveau contexte est l’embrigadement des victimes et des martyrs au service d’une idéologie « antitotalitaire » formulée à posteriori. Or il y avait parmi eux beaucoup de communistes et d’opposants de gauche trotskistes (19), des gens qui, au retour des camps, n’avaient pas cessé de croire et de servir le « socialisme » qu’on prétend leur faire renier aujourd’hui. Qui parle, et de quel droit, au nom des morts ?

Mais la majeure partie des ex-Soviétiques encore en vie n’ont pas connu les temps extrêmes. Ils évoquent la quarantaine d’années soviétiques vécues après la guerre et la mort de Staline. Un artiste se souvient de l’atmosphère des années 1960 : « J’idéalise peut-être, mais il y avait alors un élan optimiste dans le pays. Je ne parle pas de politique, mais du climat moral des gens qui m’entouraient. L’impulsion donnée par les Beatles a révélé l’aspiration à l’amour, qui a connu son zénith avec le mouvement hippie… C’était un temps lumineux, qui m’a appris à vivre en regardant l’avenir avec optimisme. » Collision-collusion inattendue de références : l’une en phase avec les idéaux officiels (« l’avenir avec optimisme »), l’autre avec une culture non conformiste (les Beatles).

C’est que la confiance dans les perspectives d’un pays en plein essor, où nul n’avait peur du lendemain, a pu coexister chez beaucoup avec l’apolitisme et les tentations d’une culture alternative. D’autres, contestataires du régime brejnévien, regrettent le temps où l’on refaisait le monde dans les cuisines. « L’avenir n’avait pas encore eu lieu » – et il serait, on le sait, bien décevant. Combien d’entre eux, après 1991, se sont retirés de la scène, malades, déprimés ou morts de tristesse en voyant ce qu’a produit le changement tant espéré ?

« Les nouveaux chefs discréditent les chestidisiatniki, les gens des années 1960, raconte Vassili Jouravliov, parce qu’ils sont pour eux un reproche vivant. Car c’est sur leurs épaules que les oligarques et autres hommes d’affaires se sont hissés au pouvoir (20). » D’anciens jeunes – qui n’étaient ni militants, ni contestataires, ni intellectuels ou cadres du parti, mais simplement avides de vivre pleinement – avaient quitté le confort urbain pour les « grands chantiers » des années 1950-1980, par romantisme ou attirés par les primes. La construction de la Cité des savants à Novossibirsk, des grandes centrales sur les fleuves sibériens, des complexes industriels de Togliatti et sur la Kama, du deuxième transsibérien, le BAM, leur ont souvent laissé les souvenirs d’une jeunesse intense, en dépit du sentiment aujourd’hui répandu d’un immense gâchis.

D’autres sont revenus meurtris d’une aventure abominable : la guerre en Afghanistan, dont parlent dans les rues et le métro les mutilés d’une quarantaine d’années. Et la jeune génération « retour de Tchétchénie », autre abomination, a déjà pris la relève.

Mais le plus grand nombre n’a pas participé à des engagements aussi forts. Ils ont simplement vécu, baignant dans un mode de vie, de relations sociales, une culture dont ils ne se séparent pas sans douleur. Né en 1961, l’écrivain ukrainien Andréi Kourkov en parle à sa façon, qui n’est pas rare : « Cette société était fondée sur l’amitié. Tu pouvais frapper à la porte de tes voisins, si tu avais besoin d’argent, ils t’en prêtaient. Après la chute, toute cette solidarité s’est effondrée. (...) Les gens qui sont nés juste avant la chute, qui ont 20 ans, s’adaptent très vite. Pour ma génération, la solitude est la maladie de cette époque. J’ai perdu beaucoup d’amis. Beaucoup se sont suicidés, d’autres ont émigré (21). »

Souvenir de rapports conviviaux, ou vivacité d’une culture sociale encore décelable dans les résistances à la libéralisation ? La sociologue de la culture Lioudmila Boulavka rapporte les témoignages de milieux ouvriers engagés dans les récents mouvements de protestation : les militants jugent avec sévérité leurs propres illusions des années 1989-1991 (le soutien aux démocrates), ils ressentent une perte douloureuse avec la fin de l’URSS, n’acceptent pas que des patrons fassent la loi sans les consulter, veulent encore croire que « l’Etat, c’est nous », ils restent attachés à une culture de consensus et de paternalisme social (22).

Tout un continent de connaissances manque aux Occidentaux pour comprendre ce qu’est la perte ainsi ressentie : l’univers d’une culture, l’épaisseur d’une vie sociale qui ne cadrent avec aucune idéologie. Où classer, dans leurs petits tiroirs, non seulement l’avant-garde, mais la culture populaire de masse qui a marqué des générations, les comédies musicales d’Alexandrov et le jazz d’Utesov, l’humour d’Ilf et Petrov, les aventures du soldat Vassili Tiorkine, les personnages « entre deux » du cinéma de Vassili Choukchine, l’art amateur des clubs d’usines et le vaste mouvement de la chanson d’auteur, contestation de masse la plus importante des années 1960-1980 ? Où situer la décision récente des bardes non conformistes de tous âges de consacrer « chanson du siècle » la ballade Grenada, de Mikhaïl Svetlov, « poète du Komsomol » des années 1920 ? Pourra-t-on jamais transmettre les messages de cette Atlantide qui a réellement existé ?

Une enquête réalisée avec le concours de la fondation allemande Friedrich Ebert et dirigée par Mikhaïl Gorchkov (23) montre à quel point la réhabilitation de l’URSS procède d’une réflexion mûrie, peu conforme aux stéréotypes. Elle révèle l’échec du pouvoir et des médias dans leur tentative de présenter les soixante-dix années soviétiques comme un « cauchemar », estimant même que la pression exercée dans ce sens a épuisé ses effets. Les jugements diffèrent toutefois selon les périodes envisagées et l’âge des personnes interrogées :

– « Les crimes du stalinisme ne peuvent en rien êtres justifiés » : c’est le point de vue de 75,6 % des 16-24 ans ; de 73,5 % des 25-35 ans ; de 74 % des 36-45 ans ; de 66,8 % des 46-55 ans ; de 53,1 % des 56-65 ans ;

– « Les idées marxistes étaient justes » : les réponses positives varient, des plus jeunes aux plus âgés, de 27,4 % à 50,3 % ;

– « La démocratie occidentale, l’individualisme et le libéralisme sont des valeurs qui ne conviennent pas aux Russes » : cette opinion est approuvée par 62,9 % des 56-65, mais seulement 24,4 % des 16-24 ans ;

– Parmi les « raisons de fierté », environ 80 % dans toutes les catégories d’âge citent la victoire de 1945. Les plus de 35 ans évoquent en seconde position la reconstruction d’après-guerre, les plus jeunes (16-35) citent « les grands poètes russes, les écrivains, les compositeurs ». Environ 60 % dans tous les groupes d’âge citent les exploits de la cosmonautique. L’affirmation selon laquelle « l’URSS fut le premier Etat de toute l’histoire de la Russie à assurer la justice sociale pour les gens simples » est retenue par la majorité des plus de 35 ans, 42,3 % des 25-35 ans, seulement 31,3 % des 16-24 ans.

Parmi les caractéristiques des différentes périodes, la majorité des participants désigne principalement :

– pour la période stalinienne : la discipline et l’ordre, la peur, les idéaux, l’amour de la patrie, un développement économique rapide ;

– pour la période brejnévienne : la protection sociale, la joie de vivre, les succès dans la science, la technique et l’enseignement, la confiance entre les gens ;

– pour la Russie actuelle : la criminalité, l’incertitude de l’avenir, les conflits entre nations, la possibilité de s’enrichir, la crise et l’injustice sociale. Les personnes d’opinion libérale accordent une balance positive à 25 % à l’ère brejnévienne (45,9 % chez les communistes) et négative à 21 % à la période eltsinienne (les communistes : 59 %).



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MessageSujet: Re: La question russe : hier, aujourd'hui et demain   La question russe : hier, aujourd'hui et demain EmptyDim 14 Aoû - 10:18

Citation :
Quant à l’avenir, une large majorité se prononce pour une gestion étatique des grands secteurs de l’économie, de l’enseignement et de la santé, ne validant la gestion mixte (avec le secteur privé) que dans les domaines de l’alimentation, du logement et des médias. Une majorité (54 %) « choisit une société d’égalité sociale » et définit comme caractère principal de la démocratie « l’égalité des citoyens devant la loi ».

Evolutive, la vision du passé est donc filtrée par l’expérience de « réformes de marché », dont le caractère désastreux est désormais largement reconnu.

La première inspiratrice de ces réformes, la sociologue Tatiana Zaslavskaïa (24), estime que les travailleurs sont « encore plus aliénés de la propriété et privés de droits qu’à l’époque soviétique. (...) La production ne s’est pas seulement tassée, mais dégradée du point de vue structurel et technologique. (...) Des secteurs qui assuraient les besoins sociaux à l’époque soviétique et élevaient, fût-ce modestement, la qualité de vie de la population, se dégradent aujourd’hui de plus en plus. Les conquêtes démocratiques de l’époque de la perestroïka et de la glasnost sont en danger (...). La polarisation de la société a pris une allure colossale (...) : 20 % à 30 % de la population vivent dans de sérieuses privations, habitent des logements en ruine, ne mangent pas à leur faim, sont malades et meurent prématurément ».

L’économiste libéral Grigori Iavlinski, dirigeant du parti réformateur Iabloko, parle de « démodernisation » de la Russie, l’écologiste Oleg Ianitskii de « société de tous les risques ». « Nous vivions derrière le rideau de fer, nous explique l’historien du monde paysan et de la collectivisation Viktor Danilov. Ignorant les réalités extérieures, nous avons cru vivre dans la misère du nivellement. Maintenant que le rideau de fer est tombé (...) nous avons subi l’épreuve de la véritable misère. Nous savons désormais que, à l’époque soviétique, nous ne vivions pas dans la misère, mais dans une “suffisance” nivelée quoique peu élevée. Le système de santé et d’enseignement était accessible à tous malgré les privilèges des “serviteurs du peuple”. Les files existaient pour que chacun puisse se procurer le nécessaire, qui n’est plus accessible au grand nombre aujourd’hui. »

Selon Danilov, pour beaucoup, « on a sans doute ouvert les portes vers le monde extérieur mais des portes blindées ont été dressées entre les gens. Jamais l’“atomisation” n’avait atteint un tel degré. » Au-delà de ces tristes constats, il ne manque pas, en Russie, de réflexions intéressantes sur le passé, le futur et les possibilités de développement. Mais cet univers très pluriel de la pensée russe est ignoré en Occident, où l’on ne répercute que les points de vue libéraux occidentalistes.

Points de non-retour
Le patriotisme re-figuré se nourrit cependant du ressentiment né du désarroi, de la misère, de la nouvelle image de l’ennemi – le « terroriste » arabo-musulman – formée de concert avec l’Occident civilisé auquel on s’identifie. Le climat n’est plus à l’« anti-impérialisme », mais à la xénophobie « petit blanc » envers les peuples encore plus démunis, le Sud menaçant. C’est paradoxal : beaucoup regrettent en même temps l’esprit d’amitié qui régnait dans les communautés multinationales soviétiques d’ouvriers et d’étudiants, et déplorent l’érection de nouvelles frontières, les entraves politiques et financières à la liberté de voyager, les familles et les groupes d’amis disloqués. On accepte le massacre des Tchétchènes tout en savourant le film culte des années 1930, Le Cirque, où l’acteur juif Solomon Mikhoels – qui mourra assassiné par Staline lors de la campagne antisioniste/antisémite de la fin des années 1940 –, chante une berceuse yiddish à un enfant noir arraché aux griffes du racisme américain !

La nostalgie de l’URSS et sa réévaluation dans la population ne sont pas à confondre avec leurs divers usages politiques. La réalité exclut un retour du soviétisme : la liquidation du système social soviétique, les privatisations, le rôle de l’argent et les pressions du monde extérieur « globalitaire » ont atteint des points de non-retour. Et, si les traditions de puissance, bureaucratiques et policières, sont réactivées pour les besoins internes du pouvoir et du contrôle de la rente pétrolière, c’est aussi dans un contexte international où l’exemple de la militarisation, de la culture sécuritaire vient du « modèle » américain, vénéré par les nouveaux Russes.

Dans les « réhabilitations », le président Poutine n’a pas oublié Pierre le Grand, le réformateur libéral autoritaire Piotr Stolypine, sous Nicolas II ni la très actuelle Eglise orthodoxe. Le Kremlin a pour emblème l’aigle impérial bicéphale couronné. L’idole de la nouvelle bourgeoisie est un Veau d’or vert comme le dollar.

Quant au couple de métal de Vera Moukhina, brandissant encore les outils du communisme, la nouvelle de sa rénovation ne doit pas effrayer les libéraux : lorsqu’ils seront à nouveau debout, fiers et pétrifiés dans leur élan vers le futur antérieur, l’ouvrier et la paysanne kolkhozienne devraient se poser sur un plus grand socle, digne des temps nouveaux. Au-dessus d’un centre commercial.

La réélection probable du président Vladimir Poutine lors du scrutin du 14 mars marquera un tournant politique en Russie. Au seuil d’une nouvelle avancée du capitalisme, le président russe fait face à des exigences de « mise au pas des oligarques », de redistribution des richesses, de reconstitution de la protection sociale et de retour à la puissance. Ces demandes vont de pair avec une réévaluation de l’héritage de l’Union soviétique, non réductible à la caricature qu’en font les libéraux d’une « nostalgie » passéiste.

Jean-Marie Chauvier.

Russie
Union soviétique (URSS)
Communisme
Mutation





date - sujet - pays


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(1) L’image du couple communiste figurait à l’avant-générique des films des studios Mosfilm.

(2) Anniversaire de la « grande révolution socialiste d’octobre 1917 ».

(3) Sur la musique de Boris Alexandrov, l’hymne qui succéda en 1945 à L’Internationale et fut abandonné avec l’URSS en 1991 a été rétabli par la Douma le 8 décembre 2000, sur de nouvelles paroles « patriotiques » composées par Serguei Mikhalkov, qui avait déjà écrit celles de l’hymne soviétique.


(4) Andréi Koslesnikov, Izvestia, Moscou, 5 juin et 14 août 2001.

(5) 48 % des Russes ne voient dans le putsch conservateur raté et le coup d’Etat réussi de M. Boris Eltsine qu’un « épisode de la lutte pour le pouvoir », 31 % « des événements tragiques », 10 % seulement une « victoire de la démocratie ». Leur dixième anniversaire, en 2001, n’a pas été célébré.

(6) Les anciens magnats Vladimir Goussinski (médias), réfugié en Espagne, Boris Berezovski (automobile, pétrole, médias, finances du Kremlin), « réfugié politique » en Grande-Bretagne, Mikhaïl Khodorkovski (pétroles Ioukos), emprisonné.

(7) Le Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD) était la police politique sous Staline. Il a été remplacé en 1954 par le Comité de la sécurité d’Etat (KGB), puis, après la fin de l’URSS, par le Service fédéral de la sécurité (FSB).

(8 ) Cette appellation regroupe les hommes des forces armées, des polices et du renseignement.

(9) Le parti libéral Union des forces de droite et la Fondation Soros ont promu une édition du Livre noir du communisme du Français Stéphane Courtois.

(10) Lire URSS, une société en mouvement, L’Aube, La-Tour-d’Aigues, 1988.

(11) Izvestia, 26 mars 2002. Il parlait de la réhabilitation en Ukraine de la division SS Galitchina.

(12) Ten’ Pobedy, Moscou, 2002.

(13) Nezavissimaïa Gazeta, Moscou, 9 novembre 1995.

(14) Lire Karine Clément, Les Ouvriers russes dans la tourmente du marché, Syllepse, Paris, 2000.

(15) Lire Pierre Lepape, « Le goulag selon Chalamov », Le Monde diplomatique, décembre 2003.

(16) Les Années vingt, aux éditions Verdier (Paris, 1997), qui publient également l’intégrale des Récits de la Kolyma (2003).

(17) Lioudmilla, une Russe dans le siècle, La Dispute, Paris, 1998.

(18 ) Golosa Krest’ian, Selskaïa Rossiia XX veka v krest’ianskikh memuarakh, Aspekt Press, Moscou, 1996.

(19) Lire Pierre Broué, Communistes contre Staline. Massacre d’une génération, Fayard, Paris, 2003.

(20) Literatournaïa Gazeta, Moscou, 6-12 mars 2002.

(21) Interview à propos de son livre Le Pingouin (Liana Levi, Paris, 2000), in « Le matricule des anges ».

(22) Lioudmila Boulavka, Non Konformizm (portrait socioculturel de la protestation ouvrière en Russie contemporaine), Ourss, Moscou, 2004.

(23) Osennii krizis 1998 goda : possiiskoie obchtchestvo do i posle, PNISiNP, Rosspen, Moscou, 1998.

(24) Auteure, en avril 1983, du premier rapport officiel (et confidentiel) reconnaissant la crise du système et la nécessité de réformes profondes. Voir sa traduction française, par Denis Paillard, dans L’Alternative, Paris, n° 26, mars-avril 1984. La citation est tirée de l’article « Les résultats de la réforme et les tâches de la politique sociale », publié dans Kuda idët Rossiia ?, Intertsentr, Moscou, 1998.

Lire aussi :
De Lénine à Eltsine
L’histoire en chantiers
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MessageSujet: Re: La question russe : hier, aujourd'hui et demain   La question russe : hier, aujourd'hui et demain EmptyDim 14 Aoû - 10:52

Une chose est sûre :
pas d'Europe sans Russie.

Cela n'inclut pas seulement la Moscovie mais aussi la Sibérie. Le peuple est le même des deux côtés de l'Oural, et jamais les Russes ne renonceront à leur Sibérie qui recèle tant de richesses naturelles. Les quelques peuplades mongoles (Kalmouks, Bouriates) ne sont pas un problème vu leur nombre.
En cela, Guillaume Faye a fait un constat pertinent avec son Eurosibérie.

Autre point intéressant :
les Russes ne se laissent pas dominer par la pensée libérale-globaliste (incarnée par les oligarches pilleurs) enrobée de droits de l'hommisme comme le montre cet article, et pourraient ainsi offrir à l'Europe de l'Ouest, grâce à leur expérience, de vraies idées alternatives et nouvelles en matière économique et sociétale.

Ainsi, de ce mariage entre Est et Ouest, pourrait naître une grande Europe continentale, unitaire et équilibrée, loin de l'UE anti-socialiste et atlantique de Bruxelles.
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