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 Oh, être Danois

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Europa
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MessageSujet: Oh, être Danois   Oh, être Danois EmptyJeu 2 Sep - 10:34

Voici un excellent texte provenant du Ministère des Affaires étrangères danois, analysant parfaitement leur mode de vie et leur mentalité; un texte à lire patiemment tout en faisant attention à la dose humoristique du traducteur.

Oh, être Danois

Etre Danois est un problème. La plupart des étrangers vous diront que c’est le contraire : être Danois n’est absolument pas un problème. Le pays fonctionne bien, il n’est pas trop grand, la distance qui sépare le haut et le bas, les riches et les pauvres n’est pas extrême, le filet de sécurité de la société est bien développé, etc., etc. Pourtant, nous sentons nous-mêmes qu’il y a quelque chose qui cloche. Nous ne partons pas à l’étranger, par exemple, avec la même assurance naturelle que les Allemands, les Suédois ou les Américains. Nous nous présentons un peu plus modestement, nous évitons de nous faire remarquer en parlant fort dans les restaurants ou autres lieux où l’on s’affirme d’ordinaire sans arrière-pensée. On pourrait dire que mentalement, nous avançons chapeau bas, en nous excusant un peu, en nous effaçant un peu. Sauf quand nous trouvons un rôle qui est à notre mesure, selon nous ; il ne fait guère de doute que le phénomène des «roligans»* du football n’aurait pu surgir ailleurs qu’au Danemark. Le rôle du roligan est sécurisant et ce que son attitude comporte d’un peu bébête ne semble pas nous gêner. Un roligan est un brave type un peu replet, qui a une canette de bière à la main, peut-être une casquette à applaudir sur la tête et en tout cas un grand sourire (ou un ricanement) qui signale que cet individu est là pour s’amuser et n’a pas la moindre envie de rosser quiconque. Il ne vient à l’idée de personne que le terme de roligan comporte un mot d’emprunt suédois. Du reste, si cela s’avérait nécessaire, ce sont d’abord les Suédois que nous préfèrerions rosser.

Serait-il donc faux d’affirmer qu’être Danois est un problème? En sortant de nouveau de nos frontières, on s’aperçoit que le trait toujours relevé par les étrangers à propos du Danemark, et que nous rechignons nous-mêmes à regarder en face, est la forte fréquence des suicides. Nous haussons un peu les épaules en rejetant la faute sur l’excellence des statistiques danoises : «jamais il ne serait permis d’enregistrer autant de suicides dans un pays catholique!» D’autre part, les étrangers ne remarquent pas seulement la Petite Sirène ; les citations les plus courantes à propos du Danemark et des Danois sont empruntées à Shakespeare, dont le cliché le plus éculé a trait à la mélancolie et à l’indécision d’Hamlet – sans compter, comme chacun sait, qu’«il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark».

Du point de vue historique et géographique, deux faits ont été décisifs pour la formation de l’idée que nous nous faisons de nous : d’abord, nous sommes entourés par la mer, ensuite, nous avons perdu toutes nos guerres depuis Dieu sait combien de temps. Quand on regarde une carte du grand Empire romain, on voit, tout en haut vers le nord, des espaces blancs où vivotaient péniblement les Cimbres, les Lombards et autres barbares. Pendant une courte période, il fut question de Vikings qui vivotaient et que l’impatience poussa à décamper pour aller se réchauffer au soleil et conquérir leur part des merveilles dont la renommée était parvenue jusque dans ces contrées où l’on a de l’eau jusqu’aux genoux le plus clair de l’année, et où il faut se terrer pour s’abriter des vents d’ouest qui balaient le pays.

Mais depuis les Vikings, le goût des conquêtes a végété, ou alors, il a eu des conséquences tragiques, comme en témoigne notre histoire. La plupart des rois danois ont systématiquement décidé de s’allier avec les perdants et chaque fois que le Danemark s’est lancé dans des aventures martiales, la défaite fut garantie. Cette politique nous a coûté nos possessions suédoises, la perte de la Norvège et de nos duchés du sud ; quand les guerres de Napoléon se sont profilées à l’horizon, nous avons dû sacrifier notre flotte aux Anglais, et quand nos alliés ont eu la bonté de venir à notre rescousse, les mercenaires espagnols en ont profité pour incendier notre forteresse de Koldinghus. En 1864, les Prussiens et les Autrichiens ont conquis une grande partie du Sud-Jutland et ceux qui s’imaginent que la Guerre de Trois ans a été une «vraie» victoire n’ont qu’à consulter les archives pour se persuader du contraire. Sous l’occupation allemande, de 1940 à 1945, les Danois engagés au service des Allemands ont été deux fois plus nombreux que ceux qui se sont ralliés à la résistance. On s’est efforcé, par la suite, de persuader la population que ce sont les résistants qui ont gagné la guerre, mais au fond, nous savons bien que ce n’est pas vrai. Si nous sommes sortis à peu près sains et saufs de la Seconde Guerre mondiale, c’est grâce à notre politique de compromis et de concessions, à notre bon sens et à notre faculté extrêmement développée de «récupérer à l’intérieur les pertes subies à l’extérieur».

Ce qui nous amène à l’un des points où notre gêne se dissipe un peu, même si beaucoup de gens le contestent. Car nous avons tiré les leçons de nos défaites et ces leçons n’ont pas été totalement négatives, au contraire. Le meilleur côté du caractère danois est de savoir pertinemment, sans tomber dans le sentiment, qu’il n’est pas obligatoire d’être agressif pour se faire une place au soleil. Au lieu de tirer notre épingle du jeu par l’avidité, nous avons appris à le faire par l’habileté. Ce n’est peut-être pas enthousiasmant mais au moins, c’est sympathique, et cette faculté de remplacer l’esprit de conquête par l’ingéniosité n’est pas un don tombé du ciel (comme notre drapeau, à ce qu’on dit), mais une leçon apprise pendant plusieurs siècles. Une leçon qui a été dure et qui nous a fait souffrir, puisque même de nos jours, certains en souffrent encore tant qu’ils ont carrément honte d’être Danois – ce qui n’est finalement pas très constructif du point de vue d’un patriotisme ordinaire.

On peut affirmer assez justement que le Danemark est un pays de consensus, mais la question est de savoir si c’est vrai. Un pays, ou une nation, ou un peuple ne restent pas les mêmes perpétuellement et dans tous les contextes. Affirmer le contraire condamnerait ceux qui cherchent une définition à atterrir dans les clichés. Les Danois du XIIIe s. ne sont pas les mêmes que ceux du XIXe s., les habitants de la côte ouest du Jutland ne sont pas les mêmes que ceux de Stevns et l’on peut affirmer tranquillement que les habitants de Copenhague diffèrent de tous les autres. Mais vus du dehors, ils conservent un trait commun que quantité de gens ont essayé de situer précisément au cours de l’histoire, sans y réussir tout à fait.

Dans une lettre à un ami, l’écrivain anglais George Orwell mentionne qu’il n’a aucune envie de jamais venir au Danemark. Il avait la conviction profonde que le Danemark est un pays ennuyeux. En 1917, dans un commentaire sur le prix Nobel annuel, le magazine américain The New Yorker se demandait qui pouvaient bien être ces curieux candidats (danois) ayant noms Johannes Vilhelm Jensen et Henrik Pontoppidan. Un diplomate français a décrit le climat danois en ces termes : «huit mois d’hiver et quatre mois de mauvais temps». Pour un quotidien allemand, le Danemark est le pays où toutes les villes ont leur Coop modèle courant, deux restaurants qui affichent le même menu (très cher et mauvais) et un bureau d’assistance sociale où tout le monde peut aller chercher de l’argent. Ce n’est pas gai, mais il y a quelque chose de vrai dans ce tableau. Le Danemark et les Danois ne sont pas «passionnants», la question se pose alors de savoir ce que nous sommes. Si nous sommes une fois pour toutes ennuyeux, il ne reste plus qu’à aller chercher la corde pour se pendre ou la boîte de somnifères.

La vérité est moins simple, bien entendu ; essayons donc d’enquêter un peu sur la façon dont nous nous percevons «nous-mêmes» et dont nous percevons le pays où nous vivons «tel que nous le voyons», peut-être qu’il en sortira quelque chose.

Au siècle passé, pendant la période romantique où les Danois ont pris plus ou moins conscience de la perte de leur grandeur d’antan, on vit naître le sentiment national et le paysage danois devint visible d’une autre manière qu’autrefois. Les poètes et les peintres se lancèrent dans la description de nos régions, ce dont le conteur Andersen est un bon exemple. Arrivé au faîte des honneurs au Danemark, il décrivait avec émotion des paysages dont toutes les merveilles ne sont peut-être visibles qu’aux yeux d’un amoureux. Cela signifie, en d’autres termes, que depuis deux cents ans, on nous a appris à considérer notre patrie comme une chose précieuse et belle, une chose digne d’être protégée, et bien que cette propagande ait été massive, elle n’aurait pas pu être efficace sans racines dans la réalité. Le Danemark est un beau pays, mais il faut entrer dans les détails pour s’en apercevoir, les grands effets dramatiques y sont rares, la terre est archi-cultivée ; c’est miracle que la nature existe encore. Or, il est possible que la nature danoise ait plus de charme parce qu’elle se conjugue avec cette culture dont nous faisons partie et que nous avons créée.

C’est peut-être à cela qu’il faut précisément nous attarder. Dans des pays plus grands et moins faciles à saisir d’un seul coup d’œil, la culture commune à tous est un phénomène plus volatile que chez nous. Sans proximité commune, il n’est pas de véritable communauté ni même, dans le meilleur des cas, de véritable solidarité. L’histoire – nous l’avons dit – nous a donné dans ce domaine une sévère et une bonne leçon. Nous savons que nous n’avons aucune raison particulière d’être fiers selon les normes des grands matamores internationaux. Nous n’avons ni bombes atomiques à faire sauter ni le moindre rêve de conquête et d’impérialisme ; la difficulté de gérer les «colonies» que «possède» toujours le Danemark (le Groenland et les îles Féroé) est telle que nous les abandonnerions volontiers à leur sort si nous n’avions envers elles des devoirs de propriétaires.

«Nous ne sommes pas faits pour les bourrasques et les cimes/rester sur la terre, pour nous, c’est ce qui prime», écrivit Grundtvig, l’un de nos bardes, un jour du siècle dernier, à coup sûr au grand regret des arrivistes. Mais tout sentimental qu’il était, ce vieillard voyait le Danemark et les Danois d’un œil réaliste. Il n’était pourtant pas un adversaire du progrès intellectuel, bien au contraire puisqu’en compagnie du Juif Georg Brandes, son extrême inverse par le tempérament, il finit par être le promoteur d’un mouvement spirituel sur lequel se fondent le Danemark moderne et l’idée que tous les Danois se font d’eux-mêmes.

Deux pistes importantes se rejoignent à cet égard, la première est l’enseignement populaire et l’éveil religieux, la seconde est l’ouverture vers l’extérieur et l’internationalisme. Elles débouchent toutes deux sur un mode de penser radical qui ouvre la voie à une panoplie d’idées nouvelles : le mouvement coopératif, la libération des femmes, l’égalité sociale, l’émancipation sexuelle. Elles cimentent, autrement dit, la conception d’une société totalement démocratisée où «peu de gens sont trop riches et encore moins trop pauvres».

Il faut du talent pour arriver à réaliser une expérience radicale dans un Etat-providence moderne comme le Danemark. On court le risque certain de finir dans la grisaille qui sépare l’ennui ordinaire de la noire déprime. Mais peut-être faut-il payer le prix de voir se généraliser l’«ordinaire» et passer à l’arrière-plan ce qui est extraordinaire, original, pour que réussisse le projet. On peut aussi retourner tous ces arguments et avancer que c’est dans l’ordinaire que se cachent le génie ou la génialité, tant il est vrai que la plupart des gens préfèrent se réveiller tous les matins pour reprendre une vie ordinaire plutôt que sous les bombes, les grenades et les hurlements des dictateurs, ou devant l’obligation d’assister à un nombre interminable de représentations des opéras de Wagner ou de récits de destins grandioses qui s’achèvent dans les flammes.

Une chose est certaine, c’est que nous ne produisons pas de grands dramaturges, en revanche, le Danemark est un bon fournisseur d’excellents prosateurs, poètes, philosophes et scientifiques, ainsi que d’une poignée de compositeurs qui sont également des poètes, quand on y regarde de plus près. Ce qui est aussi valable pour les peintres.

La question est donc de savoir quelle conception de soi-même on retire de ces faits et s’ils permettent réellement de cerner ou de définir un sentiment d’identité national. La réponse doit être un oui hésitant et la photo que nous venons de développer reste assez floue. Pourtant, on devine déjà un contour : le Danois est un être au grand cœur qui a un complexe d’infériorité tout aussi grand. Mais ce complexe n’est qu’à usage externe, car il démontre, assez paradoxalement, que nous avons quand même du succès à l’étranger ou que nous sommes à la une des journaux internationaux. Alors tout le monde se pâme. Incroyable, c’était donc possible! Incroyable! Nous qui sommes si petits, si insignifiants, avec notre régime qui fonctionne bien socialement, nos finances en bonne santé, notre haut niveau d’éducation, notre libération des femmes, notre tolérance sexuelle, arriver à ces résultats!

La dialectique intégrée dans ce discours confine au comique ou comporte pour le moins un aspect humoristique. Du reste, une chose est certaine : si l’on confronte les Danois avec eux-mêmes dans un contexte satirique, ils ne manquent pas de s’amuser – même lorsque cela leur fait mal. Ce trait désarmant s’avère d’ailleurs être une excellente arme de combat dans les situations impossibles. Devant la grandeur pompeuse, l’humoriste aura toujours le dernier mot, et lorsque les étrangers profèrent des jugements beaucoup trop définitifs sur le Danemark et les Danois, ou quand ils viennent occuper notre pays, l’humour est une arme aussi déstabilisante que le sucre dans l’essence. Car l’humour crée l’insécurité par sa nature composite, parce qu’il fait flèche de tout bois et qu’il engendre la capacité tout à fait spéciale de dire une quantité de choses, souvent très essentielles, sans qu’il soit besoin ni de les marteler ni d’élever la voix.

Si le concept d’intelligence nationale existait, on pourrait dire que celle des Danois n’est pas des moindres, d’abord parce qu’ils ne craignent pas de douter de leur propre valeur. Alors que d’autres s’appuient sur leur suffisance pour rester debout, les Danois ont tendance à se raffermir en doutant. Et c’est souvent un doute fructueux, tant il est vrai qu’une des définitions de l’intelligence est précisément la faculté de résoudre des problèmes ou d’être capable d’agir constructivement dans des situations imprévues et difficiles. Ces dernières, comme on l’a vu, ont été légion dans l’histoire du Danemark et quand on y regarde de près, on voit que dans la plupart de cas, et de loin, nos problèmes ont été résolus raisonnablement. Si les étrangers nous admirent pour ce motif, il y a lieu d’accepter leurs compliments sans rougir. Car en fait, cela n’a guère d’importance qu’un journaliste américain superficiel ironise sur l’attribution du prix Nobel à Johannes Vilhelm Jensen et qu’un journaliste allemand du même tonneau décrive les Danois comme une bande de péquenauds mortellement ennuyeux, après avoir passé une semaine de vacances au Danemark. Quelque part, nous en savons malgré tout un peu plus long qu’eux, même quand il s’agit du climat!

Bien sûr que ce n’est pas toujours drôle, bien sûr qu’on a parfois envie de relever son col et de sauter dans le canal. Mais voilà qu’on aperçoit cette lumière particulière ; on entend chanter dans le ciel, on perçoit le parfum d’un printemps lointain, l’odeur de la mer et un merle siffle sur le faîte d’un toit. Alors, on reprend son chemin et l’on ressent une certaine fierté. Même celle d’être Danois.

* Leur nom les oppose explicitement aux hooligans, puisque rolig signifie calme en danois; N.D.L.T.

Klaus Rifbjerg
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